Ainsi, il y aurait deux conceptions de l’intégrité territoriale, l’une à respecter (l’espagnole), l’autre à mettre en doute, voire à ignorer. Sebta et Melilla sont des villes occupées. Il est indécent que l’Espagne continue de persévérer dans son esprit colonial.
La relation entre le Maroc et l’Espagne est d’une nature bien différente qu’avec la France. Disons que les Marocains considèrent les Espagnols comme des cousins qui ont été, à une certaine époque, aussi pauvres et modestes qu’eux. Je me souviens des années où l’on s’étonnait du développement rapide de ce pays, surtout après la mort de Franco et l’avènement de la démocratie. On les appelait «les pantalons rapiécés». C’est dire combien notre familiarité était tintée d’un léger sentiment de supériorité.
Aujourd’hui, l’Espagne a fait des bonds spectaculaires et est devenue un des piliers de l’Europe. Est-ce pour cela que le gouvernement de Pedro Sanchez se permet de se moquer de nous? Enfin, soyons sérieux, l’affaire de l’intégrité territoriale de notre pays est des plus fondamentales. Ainsi, répondant à un courrier du parti Ciudadanos, le gouvernement fait comme si l’histoire commune hispano-marocaine n’avait jamais existé. «L’Espagne se considère détachée de toute responsabilité internationale en ce qui concerne l’administration du Sahara depuis la lettre du 26 février 1976 au secrétaire général des Nations Unies», a-t-il déclaré.
Bien des choses, dont certaines assez graves, se sont passées depuis cette lettre. Et l’Espagne fait comme si l’occupation du Sahara par elle n’avait jamais existé. Son départ avait été précipité et son attitude ensuite n’avait pas été à la hauteur de la situation, sous-estimant l’importance que le Maroc donne à cette affaire puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de son intégrité territoriale. Elle a tourné le dos à l’Histoire et s’est conduite en étrangère à ce qui se passait dans ces provinces du sud où elle n’avait rien construit de bon.
Le gouvernement actuel rappelle que «la position de l’Espagne n’a pas changé». Suit ensuite un communiqué langue de bois, bla bla bla…
Quand le Premier ministre El Othmani a évoqué le sort de Sebta et Melilla, voilà que notre ambassadrice à Madrid est convoquée et priée de «respecter la souveraineté et le territoire et l’intégrité de l’Espagne». Rappel: Melilla est occupée depuis 1497 et Sebta, depuis 1580. Tout occupation est illégale.
C’est tout simplement scandaleux. Ainsi, il y aurait deux conceptions de l’intégrité territoriale, l’une à respecter (l’espagnole), l’autre à mettre en doute, voire à ignorer.
Sebta et Melilla sont des villes occupées. C’est une colonisation. Même si le temps a entériné cette présence étrangère sur le sol marocain, il est indécent que l’Espagne continue de persévérer dans son esprit colonial.
Ce qui est étrange, c’est que cet esprit a de tout temps prévalu, que ce soit avec des gouvernements socialistes ou des gouvernements de la droite. Je me souviens d’une discussion avec notre ami Felipe Gonzalez, qui vient souvent se reposer à Tanger. Il me disait que «pour l’Espagne c’est une affaire sacrée; impossible de revenir sur le sort de ces deux villes!».
Pourtant, ils ont le même problème, les mêmes inquiétudes avec le statut de Gibraltar, terre espagnole sous domination britannique.
Deux poids, deux mesures. C’est ainsi qu’on peut caractériser la position de l’Espagne qui cultive une amnésie qui l’arrange.
Il est tout de même intéressant de rappeler que le racisme anti-Mauros est virulent et ce sont les immigrés marocains, souvent des saisonniers, qui sont victimes de ces mauvais comportements. (Début février 2000, trois jours de «chasse à l’Arabe» avaient eu lieu à El Ejido, près d’Almeria, après qu’un jeune Marocain, qui venait juste de sortir de l’hôpital psychiatrique, a poignardé une femme dans la rue).
Nous sommes loin de l’Andalousie heureuse, où une symbiose culturelle et civilisationnelle réunissait chrétiens, musulmans et juifs. Depuis l’arrivée d’Isabelle la Catholique, c’est la mise en pratique de l’Inquisition et la fin d’une belle harmonie.
Ainsi l’Espagne, comme disait Salvador Dali, n’aime pas passer par «la grâce de la vérité», et oublie en chemin une part, peut-être honteuse, de son histoire. Elle est la mieux placée aujourd’hui pour réparer le mal que le colonialisme lui a fait faire dans le nord et le sud de notre pays.