Face à l’horreur du meurtre du petit Adnane, certains réclament l’application de la peine de mort à l’encontre du monstre qui a fait ça.
Sur le plan émotionnel, j’ai été très affecté par cette affaire. Je pensais tout le temps au petit garçon qui a suivi un individu sans se douter une seconde qu’il marchait vers la mort, pas une mort directe et simple, mais le viol puis l’assassinat. Oui, je me suis demandé comment j’aurais réagi si je m’étais trouvé face à celui qui a commis ce crime. Je me serais conduit comme une bête blessée, comme un individu de la pire espèce. C’est ce que les parents seraient capables de faire. Mais, nous sommes en société. Nous vivons ensemble et pour cela nous devons suivre des règles, des lois, avec des devoirs et des droits. On ne fait pas justice soi-même. Face à l’horreur, on peut exprimer sa colère, on peut hurler son dégoût, mais on ne peut pas entrer dans le corps de l’intolérable.
Sur le plan judiciaire, je ne réclamerai jamais la peine de mort. Simplement parce que le fait de tuer un tueur, ne règle jamais le problème. L’application de la peine de mort n’a jamais été dissuasive. Le problème est ailleurs.
Cet individu, arrivé récemment à Tanger pour chercher du travail, a perdu son humanité. Il n’est pas des hommes, je veux dire des êtres humains capables de distinguer le bien du mal et de se conduire sans nuire à autrui. C’est un barbare parce que les circonstances –matérielles, psychologiques, etc.– l’ont vidé de son humanité. Il était devenu un monstre, prêt à violer et tuer un enfant. C’est le pire des crimes. Pas d’excuse. Pas de circonstances atténuantes. C’est l’horreur à l’état brut.
Aucun animal, quelle que soit sa férocité, ne fait ce que cet individu a fait. Un animal se bat quand on l’attaque; un animal chasse pour manger et donne à manger à sa progéniture. Rien n’est prémédité. C’est la nature qui commande. C’est la loi de la jungle.
En société, l’homme est en principe doué de raison, de conscience, de parole et d’intelligence. Il sait ce qu’il fait et sait aussi ce qu’il n’a pas le droit de faire. Il maîtrise ses instincts, ce qui le différencie de l’animal.
On ne vient pas au monde avec tout cet arsenal de lois et de droits. On l’apprend en famille, à l’école, dans le milieu professionnel, dans la rue, partout où nous sommes appelés à suivre des règles pour vivre ensemble en paix.
Pendant que j’écris ces lignes, j’apprends qu’un fqih, du douar Zemmij, dans la localité de Melloussa dans les environs de Tanger, a été arrêté parce qu’il aurait abusé sexuellement ses élèves de l’école coranique locale. Des adolescentes ont témoigné. Si cet individu est reconnu coupable, son procès devrait être un exemple, car nous savons tous que ces gens profitent de l’alibi religieux pour commettre des crimes. Et cela est intolérable, impardonnable.
Encore une fois, la peine de mort n’est pas la solution; en revanche, une castration chimique avec une condamnation à perpétuité serait une punition à vie.
Ce genre de crime atroce existe dans toutes les sociétés. Ça fait la Une des journaux quand cela se produit. Le Maroc ne fait pas exception. On se dit, quand même, nos anciens, nos grands-parents avaient une notion de la vie, du respect de la vie, plus importante que les nouvelles générations. La violence a redoublé de férocité avec l’accélération des inégalités. Reste que le meurtre d’un enfant est de l’ordre de l’absolu intolérable.
Que faire? L’éducation, certes. Parler aux enfants dès qu’ils sont en état de comprendre les choses, les prévenir, les préparer à armer leur innocence, à être vigilants.
Dès l’âge de cinq-six ans, il est possible d’évoquer avec eux le problème de la pédocriminalité, la question de l’inceste, l’existence du viol, l’existence du Mal qui peut parfois prendre le visage d’une personne aimable, insoupçonnable du pire. Les individus qui font le mal avec barbarie, sont des gens quelconques, ils n’ont pas un troisième œil au milieu du front, ni un couteau entre les dents. Ça peut être le voisin si sympathique qui emmène tous les matins ses enfants à l’école, ça peut être l’épicier qui nous fait crédit, ça peut être l’oncle qui nous rend visite avec des cadeaux, ça peut être n’importe qui.
C’est ce qu’il faut apprendre à nos enfants. L’homme ne naît ni bon ni méchant. La vie fait de lui l’un ou l’autre. Comment lire sur un visage la barbarie cachée? Un film extraordinaire montre cette duplicité: «la nuit du chasseur», réalisé par l’acteur Charles Laughton, en 1956. Ça se passe en Virginie dans les années trente. Un pasteur, habillé tout en noir, meurtrier d’une douzaine de veuves, les doigts de la main droite portant le mot «Love» et ceux de la gauche «Hate» (haine), est à la recherche d’un magot caché par un homme qu’il a connu en prison. Le pasteur se rend à la ferme de ce prisonnier et comprend que les enfants vivant avec leur mère seule, savent où est l’argent. Le magot, ici, c’est aussi l’enfance. La métaphore est assez claire; une lutte sans merci sera menée par la mère et les deux enfants contre ce représentant du Mal.
Ainsi, le Mal peut se présenter sous une soutane, avec une main où est écrit le mot Amour et l’autre «Haine», avec une bonhommie qui trompe tout le monde, et au fond, c’est rarement que le Mal transparaît tout de suite sur le visage du criminel.
L’éducation ne suffit pas. Encore faut-il préparer nos enfants à la vigilance, à la complexité du monde et de l’être humain.
Quant à la peine de mort, notre pays pourrait l’abroger, surtout en ce moment où un sondage nous dit que 55% de Français sont pour le rétablissement de cette pratique barbare.