Lors d’une conférence jeudi dernier à la Villa Medicis à Rome, une dame m’a posé la question qui préoccupe pas mal les Marocains: «Comment expliquez-vous que souvent les terroristes qui agissent en Europe ces derniers temps sont Marocains, nés au Maroc ou en Europe de parents marocains?».
J’observai une longue minute de silence et de réflexion. Je lui ai dit: «figurez-vous que moi aussi, ainsi que bon nombre de mes compatriotes, nous nous posons la même question. Nous ne comprenons pas ce qui a pu se passer au sein de ces familles, ni comment la propagande criminelle atteint ces terroristes, ni quelle cause ils défendraient, ni quelles explications ils donneraient à leurs parents s’il leur arrivait de survivre. Aucune analyse logique n’est satisfaisante. On tourne le problème dans tous les sens et on retombe sur les mêmes difficultés».
On pourrait arguer du fait que leur éducation a foiré ou n’a même pas existé, que leurs parents ont été dépassés, qu’ils ont été abandonnés sur le bord de la route et que personne ne s’est préoccupé de leur sort. On pourrait citer aussi la débâcle de l’éducation nationale, l’échec des partis politiques traditionnels qui n’ont pas su parler au peuple, ni s’occuper de la jeunesse. On pourrait évoquer le rôle des médias, la violence complaisamment étalée sur les écrans, les chaînes de certains pays du Golfe qui sont des appareils de propagande et d’abrutissement au nom d’un Islam non compris. Tout cela s’est mélangé avec d’autres ingrédients pour devenir un appel au meurtre. Ces jeunes individus qui ont commis les attentats de la Catalogne et de la Finlande étaient des gens disponibles. Ils attendaient que quelqu’un leur parle le langage qu’ils comprennent, utilisant les métaphores, les images, les symboles qui vont directement à leur esprit non encombré par le savoir, la science, la morale ou simplement une forme d’intelligence du cœur.
Le fait qu’ils soient nés au Maroc ou dans un pays européen ne peut rien justifier. Nous ne croyons pas que le Maroc ne produit que de l’excellence, mais nous refusons l’explication raciste telle qu’elle a été utilisée par certains médias. Le Maroc n’est pas plus violent que certains Etats américains ni plus meurtrier que le Mexique ou l’Egypte. La société marocaine a longtemps donné l’image d’un peuple paisible, modéré, généreux. L’islam a de tout temps été, grâce au rite malékite, un islam de tolérance et de paix. On pourrait dater la politisation violente de l’islam à partir de la révolution iranienne de 1979 et l’ouverture du ciel aux télévisions satellitaires. Le Maroc n’a pas pu ou su fermer son espace à ces bombes à retardement que sont ces télés où l’ignorance le dispute à la bêtise et au fanatisme.
Aujourd’hui, même si le Maroc barrait la route à ces postes de propagande criminelle, il y a hélas le Web, internet par où passent des milliers de vidéos de Daech. Nous sommes cernés et nous ne savons pas comment protéger notre jeunesse de ce poison qui se répand avec une facilité déconcertante.
Plus que jamais, il faut tout faire pour que l’islam ne soit plus contaminé par la politique et que les politiques n’utilisent plus la religion pour arriver au pouvoir.
Nous en sommes loin. L’islam a bon dos. Dès qu’on souhaite le préserver dans ses valeurs et sa symbolique, des professionnels de la pseudo exégète surgissent, avec ou sans barbe, et surfent sur l’innocence ou la naïveté des gens.
Ce n’est pas le Maroc qui fabrique des terroristes. Il a sa part de responsabilité dans ce qui a pu lui échapper. Mais ces tueurs appartiennent à Daech et n’ont pas de patrie. Ils se réclament du territoire promis dans un au-delà mythique et improbable. De ce fait, ils n’ont plus aucune attache ni sentimentale, ni morale et encore moins politique avec le Maroc. Leur pays est imaginaire. Il est partout où ils peuvent semer la terreur et la mort.