C’est l’âme de Paris, c’est l’esprit et la mémoire de la chrétienté qui ont brûlé la semaine dernière. Cette âme ne concerne pas que la France ou la chrétienté. Elle nous concerne aussi parce que c’est un monument de haute spiritualité où se retrouvent toutes les religions.
J’ai appris la langue française en lisant Victor Hugo qui a immortalisé cette cathédrale qui est au-delà du sublime. J’ai été imprégné par sa spiritualité et en lisant Hugo, j’ai appris à la connaître et à la considérer comme faisant partie de mon éducation, de ma culture française, voisine et complémentaire de l’arabe.
J’ai vu l’autre soir combien les flammes étaient inépuisables, rebelles à toute paix. C’est dire combien l’esprit de ce lieu, le plus visité d’Europe, est puissant.
Je suis triste parce que je sais que cette cathédrale fait partie de mon univers d’écrivain. L’islam a toujours demandé aux fidèles de respecter et de célébrer ces cathédrales, lieu de paix et de réconciliation. Les musulmans qui visitent «Notre Dame de Paris» considèrent que c’est un lieu de pèlerinage où on prie un même Dieu, unique et miséricordieux. Mais au-delà de cet aspect, la Cathédrale est l’identité de ce Paris qui n’appartient à personne, ou qui n’appartient qu’à ceux qui l’aiment.
Difficile d’imaginer le quartier de la Cité sans cette présence majestueuse et grandiose. C’est un pan de l’histoire de France qui a brûlé et Paris ne sera plus Paris. Sa mémoire a perdu quelques pages de son grand livre. Et ces pages, on ne peut plus les lire ni les reconstruire. C’est là où la tristesse rejoint ce désastre patrimonial.
Evidemment on peut lire ou relire Hugo, et là on constate un fait simple, le pouvoir de la littérature. Son roman «Notre-Dame de Paris», écrit en 1831, a sauvé cette cathédrale qui était dans un état de délabrement inadmissible. Elle deviendra célèbre grâce au roman de Hugo et sera enfin restaurée de 1844 à 1864. L’architecte Viollet-le-Duc, lui rendra par la même occasion sa flèche.
Certes la cathédrale sera reconstruite, cela prendra du temps, mais pendant ce temps là, il va falloir garder en nous son esprit, le ranger en dehors du bruit et des travaux.
C’est avec la présence, celle d’une haute et belle spiritualité que Notre Dame de Paris retrouvera son identité, notre identité, car elle est ouverte à tout le monde et fait partie de la mémoire du monde.
J’ai grandi dans un Maroc où la coexistence entre musulmans, juifs et chrétiens était chose normale. A l’époque, les années soixante, on nous apprenait l’histoire des religions sans préjugés. On nous disait que l’islam s’est inspiré des valeurs des deux autres religions monothéistes et que nous devons non seulement les respecter mais cultiver les rencontres et le dialogue. C’est cet esprit que le roi Mohammed VI a voulu rappeler au monde le mois dernier quand le pape François a été reçu par le peuple marocain et que les deux souverains ont écouté des chants musulmans, juifs puis chrétiens dans une salle où l’émotion était grande.
Notre Dame de Paris a été amputée d’une partie de son corps. Le feu a été gourmand et sans répit. Aujourd’hui, abîmée, rongée et vidée, elle résiste. Son esprit est vivant. Il va falloir beaucoup de temps avant qu’elle récupère ce qu’elle a perdu en quelques heures.
Reste sa mémoire, sa façade, ses portes magnifiques, son histoire et tant de livres qui lui ont été consacrés.
Par-delà les religions, c’est la beauté qu’il va falloir restituer, la retrouver en imaginant peut-être d’autres façons d’atteindre le sublime. Cette grande brûlée sera sauvée, car le peuple de France sera uni pour lui rendre tout ce que le feu lui a pris. Emmanuel Macron ne s’est pas trompé en profitant de cette occasion pour réclamer une France unie face au désastre. Notre Dame est certes un symbole, et le désastre est aussi ailleurs.