Ayant vécu, il y a longtemps, à Tétouan, je me souviens d’une ville d’un conservatisme effrayant. La ville se tenait à l’écart de l’évolution du pays et résistait à toute tentative de changement. Je venais d’être nommé professeur de philosophie au lycée Charif Idrissi, dont le proviseur était un Marrakchi. Il se demandait comment trouver un modus vivendi avec les habitants. Durant une année, j’avais dû faire la navette entre Tanger et Tétouan parce que je ne trouvais pas de logement. A l’époque on se méfiait comme de la peste des hommes célibataires.
Malgré les recommandations de mon proviseur et l’aide de certains collègues, il était impossible de me loger la première année de mon exercice de prof.
Depuis, Tétouan a heureusement changé. Elle a dû accepter de suivre le niveau de libéralisation des mœurs existant dans le reste du pays.
Je me souviens d’un orchestre de femmes qui se produisait dans les fêtes de mariage de ce qu’on appelait «la journée des femmes». La société traditionnelle s’arrangeait pour que jamais, femmes et hommes, ne se retrouvent dans la mixité. La société des hommes remplissait les cafés. La société des femmes restait à la maison, ce qui ne veut pas dire qu’elles étaient d’une sagesse exemplaire. Elles avaient leur vie et ne réclamaient pas de se mêler à celle des hommes.
C’est pour cela que la création à Tétouan d’un café exclusivement destiné aux femmes, ne m’a pas étonné. J’ai vu des images de ce lieu. Elles sont belles, un peu naïves dans le style romantique «les feux de l’amour», mais le lieu est accueillant et très sympathique. Après tout, l’ensemble des cafés et restaurants sont faits en priorité pour les hommes. Une femme ne peut y mettre les pieds que si elle est accompagnée d’un mari, un père ou un frère. Ce n’est que récemment que des femmes osent s’installer dans un café sans pour autant qu’elles soient considérées comme des prostituées.
Longtemps le café a été le lieu des hommes, et uniquement des hommes. On trouvait cela normal. Le changement des mentalités est arrivé de l’étranger, non pas des étrangers, mais des Marocains résidant à l’étranger. L’été, leurs filles s’affichent avec un grand naturel dans les cafés de la ville. Pour ces jeunes femmes, venues d’Amsterdam, de Bruxelles ou de Paris, il est inconcevable de ne pas s’attabler dans un café et de fumer une clope sans que cela provoque un scandale ou soit considéré comme une invitation au vice!
L’idée d’un café pour femmes risque de faire des petits comme par exemple «une piscine pour femmes», «une plage pour femmes», «une kissaria pour femmes», «une clinique pour femmes avec des médecins femmes», «un train avec des compartiments réservés aux femmes», etc. Là, nous serons dans une sorte d’apartheid qui conforte parfaitement les thèses rétrogrades et très conservatrices des islamistes qui cherchent à isoler les femmes, à les voiler, à les cacher, à les stigmatiser.
Un café pour femmes, d’accord, mais il ne faut pas que cela se généralise au point de diviser la société en deux clans opposés où aucune rencontre ne sera possible. Ainsi, pour se marier, un jeune homme enverra sa mère ou sa sœur dans des cafés pour femmes lui choisir celle qui partagerait sa vie! La tradition serait ainsi maintenue, et le progrès social empêché. Comme disait une publicité : «un café pour femmes, c’est bien; deux, trois cafés pour femmes, bonjour les dégâts».
Il ne faut pas avoir peur de la mixité, tant que l’individu est responsable et désireux d’avancer sans arrière-pensées, ni manque de respect de la personne en face.