Je soutiens de toutes mes forces les magistrats qui font valoir leur droit aux indemnités et exigent une augmentation des salaires. Je les soutiens parce que c’est un des métiers parmi les plus difficiles, les plus ingrats et aussi les plus importants pour la paix sociale et l’assise de la démocratie. Il s’agit de faire justice, de rendre la justice indépendamment de tout, de la fortune de la personne qui se présente devant un tribunal, de son rang social, de sa fonction, de son pouvoir.
Une société où la justice est rendue de manière juste, c’est-à-dire en stricte application du droit et de la loi, sans aucune interférence subjective, sans la moindre complaisance, est une société qui aspire au respect de l’individu, de son intégrité physique et morale, une société qui met le droit au-dessus de toute considération et qui fonctionne en suivant scrupuleusement les règles du vivre ensemble qu’on soit riche ou pauvre, connu ou inconnu. C’est la base fondamentale de l’Etat de droit.
Peu de pays parviennent à ce que ce secteur de la société soit intègre, totalement, entièrement intègre. Certains y arrivent tout en restant vigilants car une erreur judiciaire est toujours possible et que le juge n’est qu’un homme, pas un superman ni un magicien ou un mentaliste comme cela se voit dans certains films. Il peut avoir des doutes, se tromper et faire une erreur. Cela arrive partout.
Le juge a le devoir de juger en son âme et conscience. Il évalue les faits et prend sa décision dans la solitude et le silence. Rien ne doit venir influencer sa décision, surtout pas d’intervention ou des pressions politiques ou autres.
Je soutiens la cause des magistrats pour une raison simple et que tous les citoyens comprendront aisément, parce que quand on a eu un jour affaire à la justice on a malheureusement constaté combien, dans notre pays, ce secteur est contaminé par la pourriture, je veux dire par la corruption. Je ne stigmatise pas les juges. La corruption sévit dans tous les secteurs du pays, nous le savons et chacun peut témoigner de ce fait.
Je connais actuellement un cas effarant où la victime a été transformée, moyennant quelques millions de dirhams, en coupable. Il faut dire que le père de celui qui a provoqué le drame est un homme possédant une grande fortune. Il a acheté tout le monde y compris, les juges et les avocats, les plaignants et les témoins, la police et la gendarmerie. La victime fait une dépression parce qu’elle subit la pire des injustices. Et tout cela parce que l’argent est entré en scène et a pourri ce procès. Je tiens ce cas parmi les plus aberrants. Quand un citoyen se trouve dépouillé de son droit et jeté de l’autre côté de la justice, il est à craindre qu’il perde la raison. Par ailleurs, je ne pense pas que ce cas dont j’ai eu connaissance, soit isolé ou exceptionnel.
Mieux payer les magistrats est une des façons directes de lutter contre la tentation de la corruption. Il en est de même dans toutes les administrations. Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il accompagner cette augmentation légitime d’une lutte sévère et permanente contre ce fléau qui ruine lentement notre société. Je sais que la lutte est difficile. Il n’y a pas de traces, pas de preuves. L’argent passe de main à main, sous la table et le tour est joué.
Je connais des gens qui, bien avant de connaître leurs droits, se renseignent pour savoir à qui s’adresser pour glisser l’enveloppe. Le citoyen marocain a perdu depuis longtemps confiance dans son administration, que ce soit dans le domaine judicaire ou des travaux publics et même dans celui de la santé publique.
Résister contre la corruption– j’en ai fait l’expérience– est un parcours du combattant qui découragerait le plus intègre des hommes. J’ai résisté et j’ai souffert. (J’avais raconté cela dans une chronique). Ce n’est pas une raison pour ne pas lutter contre cette saloperie qui pourrit tout ce qu’elle touche.
Si l’exercice de la justice est épargné par la corruption, on aura fait un grand pas dans la consolidation de l’Etat de droit. Malheureusement, l’instance de lutte contre la corruption n’a pas assez de moyens pour faire échec à toute tentative d’acheter avec de l’argent ce que le droit et la loi ne donnent pas. Ce n’est pas qu’une question de moyens techniques. Il faut accompagner cette chasse à l’illégalité par une pédagogie morale qui responsabilise le citoyen, seul acteur ayant le pouvoir de refuser de corrompre ou d’être corrompu.