Je n’ai pas pu échapper à “Star Wars”, le film, enfin ce qui se présente comme un film mais qui est au fond une arme de distraction massive et sans nuances. La chose m’a harponné comme un cinéphile récalcitrant. Je me suis dit, le marketing a tout prévu y compris de pousser dans les salles un type comme moi, qui, malgré et à cause de l’énorme machine publicitaire, ne devrait pas consommer ce produit hors normes et hors toutes catégories.
Je ne pouvais pas ignorer le phénomène. Impossible. Le jour de la sortie du film, tous les médias de la planète en ont parlé. Tout a été fait pour que cela devienne un événement mondial destiné à tous les publics. Alors j’ai fait un effort pour suivre la saga. Les effets spéciaux sont les vrais héros du film. Le reste, la lutte du bien contre le mal, la force de l’âme contre le pouvoir absolu, l’énergie créatrice contre la brutalité métallique, est traité comme d’habitude avec une musique stridente et violente, des images ultra rapides, des mouvements de caméra compulsifs. Il faut se munir d’aspirine ou de doliprane.
Là, je me suis dit que les Américains ont une grande avance sur le reste du monde : ils savent avec précision, de manière scientifique et incontestable, ce qu’il faut fabriquer et comment le fabriquer pour intéresser toute la planète. Même si on se méfie de cette «culture», même si on n’est pas dupe de ce qui se trame derrière ces images dévorant l’écran, on est là, assis et on avale cette histoire à dormir debout. Ils sont passés maîtres dans l’addiction de centaines de millions de gens que ce soit pour «bouffer» des trucs innommables fabriqués selon des normes strictes dans le monde entier (McDo) ou pour fumer des cigarettes de la même marque (Marlboro), boire du Coca qui sévit sur la planète depuis plus d’un siècle ou regarder une série comme “Homeland”. On a beau démontrer que la malbouffe favorise l’obésité et que le tabac tue, on continue de consommer sans modération.
Revenons au film. Première remarque: la méchanceté, le mal absolu ne doivent pas se confondre avec la laideur physique. Pas la peine qu’un monstre, prêt à éradiquer l’humanité entière pour assouvir son pouvoir, se présente sous les traits d’un animal hideux et repoussant. Le mal est partout. Il se loge dans des cœurs et des corps en parfaite harmonie, beaux et séduisants. Les plus grands escrocs du monde sont des gentlemen bien sapés, souriants, généreux, volubiles et agréables à fréquenter. Il en est de même des imposteurs. Ils se font passer pour des artistes alors qu’ils sont des escrocs qui avancent masqués. Donc le mal n’a pas besoin de flirter avec la laideur physique à moins de croire ou de faire croire que la laideur de l’âme s’étale malgré elle sur le visage du méchant.
Dans “Star Wars”, il y a une scène vers la fin où le père joué par Harrison Ford est en face de son fils, devenu le leader du mal et du pouvoir qui veut plier le monde à ses volontés. Une discussion a lieu sur un pont suspendu. Le père voudrait que le fils renonce à son entreprise et rentre à la maison ; le fils s’excuse et tout en disant à son père qu’il l’aime, le tue. Là, c’est évident qu’on pense au système lavage de cerveau Daech. Des enfants ont tué des membres de leur famille sur le champ de bataille en Syrie ou en Irak sous l’œil du calife autoproclamé et qui a inculqué à des milliers de jeunes la manie de tuer sans se poser de questions. Là, c’est peut-être l’unique clin d’œil à l’actualité brûlante. Mais le film continue de nous asséner des scènes grandiloquentes comme si on n’avait pas bien compris de quoi il retourne.
Ils sont forts ces Américains! Trop forts pour les déloger de leur place de leader du marketing et de la consommation rentable et juteuse.
Dire que je m’étais déplacé pour voir un film marocain à petit budget “Chaïbia”. Malheureusement, il n’était plus à l’affiche. “Star Wars” l’a balayé juste en le regardant comme s’il lui disait: «Dégage, laisse la place au cinéma, tu n’es qu’un petit truc amateur, alors sors de l’affiche, j’ai besoin de toute la façade du Mégarama pour étaler mon affiche !». Telle est la réalité. Allez vous battre contre un produit qui vise des recettes de l’ordre de deux milliards de dollars!