Depuis que la télécommande existe, notre relation aux objets environnants a été bouleversée. Il suffit de presser sur un petit bouton. On ne se lève plus pour changer de chaîne, augmenter ou baisser le son, pour enclencher la climatisation, ouvrir la porte d’un garage ou simplement éteindre toutes les lumières. J’adore cet objet aussi révolutionnaire que le téléphone mobile. Il a instauré le confort et la paresse. Alors on rêve d’être un jour en possession d’une télécommande qui agirait non seulement sur les objets mais aussi sur les êtres humains.
C’est une fantaisie, un caprice. Imaginez qu’on pourrait lors d’une discussion à table ou dans un salon, faire baisser le son d’une voix désagréable ou mieux encore la bloquer par la fonction «mute». On pourrait aussi mettre sur «pause», le temps nécessaire pour trouver des arguments à opposer à la personne en face de vous. Elle resterait figée telle une image, sans vie. Ce serait un outil exceptionnel pour lutter contre la bêtise, la médiocrité, le mensonge, l’arbitraire et l’arrogance. Ce serait le rêve… Quoi que… ce pourrait être aussi un cauchemar puisque tout dépendrait de la personne qui posséderait cet objet magique. La porte est ouverte à la censure et à la dictature. Faire taire un peuple, une presse, une contestation, bref exercer un pouvoir absolu qui rappellerait Big Brother. Une telle possibilité donne froid dans le dos.
En fait c’est le rêve de tous les pouvoirs. Exercer une suprématie non plus par la force physique mais par une technique invisible, efficace et terriblement dangereuse. Sans passer par l’hypnose ou des calmants qui endorment notre vigilance, certains utilisent le terreau religieux. Ceux qui savent tirer les ficelles de la foi et du sacré sont en possession de cette télécommande qui va au-delà des apparences et parvient à inculquer des idées et des ordres qui font que des jeunes gens en principe intelligents et bien éduqués leur obéissent. Et les voilà sur le chemin du jihad et du sacrifice. «Mute» sur le doute, sur la réflexion, «mute» sur l’intelligence et la conscience, sur la vie libre et digne.
Nous avons tous sous-estimé la capacité des recruteurs pour le jihad. Ils ont utilisé les méthodes que les systèmes totalitaires ont inventées. La propagande ne se fait plus à coup de massue mais avec subtilité et répétition d’images fortes étudiées pour produire fascination, attraction et engagement.
Cette télécommande est immatérielle. Puissante, elle fait taire la raison, annule la peur, opère un changement radical dans la perception des choses, bloque l’instinct de vie et parvient à le transformer en instinct de mort, la mort donnée aux autres et à soi. Aucun chef de guerre n’a réussi ce miracle : faire de la mort un but désiré, aimé, espéré et accepter d’offrir sa propre vie pour un «idéal» qu’aucune idéologie connue n’a réussi à propager.
On dit que ces jeunes gens sont instrumentalisés. Mieux que cela, ils sont sans volonté. L’unique volonté qu’on leur a laissée est celle d’aller à la mort en chantant. N’ayant pu trouver un sens à leur vie, voilà qu’on leur propose de donner un sens à leur mort. Ainsi ils auraient réussi au moins une chose dans leur vie : ne plus être de cette vie. Le reste est du domaine de l’irrationnel. La télécommande magique ne l’a pas prévu.