Ces «nouveaux citoyens» jusqu’alors «dépossédés de leurs voix» ont choisi la rue comme espace pour exprimer en nombre leurs revendications, les réseaux sociaux facilitant la mobilisation.
Les mouvements ainsi créés se caractérisaient au début par la non-violence, avaient pour unique programme le rejet des élites installées, aucune stratégie de prise de pouvoir, pas de leaders, ni de volonté de constituer de partis politiques. Leur principal souci était l’élargissement des droits politiques. Les revendications sociales étaient absentes.
Ce n’est que par la suite, à partir de 2013, les conséquences de la crise financière de 2008 ne se faisant sentir qu’après quatre à cinq ans, que ces mouvements ont connu un élargissement du contenu de leurs revendications. Le développement de la précarité, l’appauvrissement de la classe moyenne, la panne de l’ascenseur social, la montée des besoins en matière de consommation, de services publics de qualité (santé, enseignement...) ont exacerbé les mécontentements.
Le Maroc durant cette période (2011/2021) à travers les deux gouvernements en place a été dans l’incapacité d’apporter des solutions structurelles aux aspirations nouvelles et légitimes des couches populaires. Crise mondiale, croissance ralentie, mauvaise gouvernance plusieurs explications/justifications peuvent être avancées.
L’invitation royale d’entamer une réflexion sur un nouveau modèle de développement, l’ancien ayant montré ses limites, est révélatrice du souci d’assurer à travers une série de remises en question des approches précédentes et de nouvelles réformes, une croissance plus inclusive de l’économie et plus de bien être social. Le changement de paradigme sur les missions de l’Etat est révélateur, il est désormais social.
Nous avons déjà eu l’occasion d’écrire que le gouvernement actuel partait avec plusieurs longueurs d’avance : une feuille de route (NMD), un programme crédible, une majorité confortable et cohérente. Reste à mettre en place et conduire les réformes qui au vu des ambitions affichées seront multiples.
Réformer n’a jamais été chose aisée. On bouscule un ordre ancien, une culture, des avantages, des corporations, on soulève des craintes dans l’administration publique et la société. Cela est d’autant plus «difficile» maintenant que le citoyen, comme rappelé plus haut exige d’avoir droit au chapitre, d’être consulté voire convaincu, sinon il manifeste son mécontentement dans la rue. Le temps des méthodes coercitives est révolu, surtout pour un pays comme le Maroc qui ambitionne d’afficher ses avancées démocratiques et sa stabilité politique pour attirer d’avantages d’investissements étrangers.
Il s’agit dans le futur d’emporter l’adhésion aux réformes par le consentement.
L’aptitude à convaincre est une qualité essentielle chez l’homme politique, c’est ce qui le différencie du technocrate. Ce dernier se contente d’être lui-même convaincu de la pertinence d’une mesure et fait peu de cas de son environnement politique, économique, social et culturel. Le politique transforme la mesure en réforme en réussissant à impliquer son environnement proche (l’administration) et la société pour obtenir le meilleur résultat.
Récemment, deux décisions ont suscité des contestations de la part de certaines catégories sociales: l’instauration d’un pass vaccinal et la révision des critères d’admission au concours des enseignants cadres des AREF. Sur le fond, les deux décisions se justifient, pourtant elles ont suscité des manifestations d’ampleurs variées. Doit-on considérer ces dernières comme une alerte trahissant un déficit de communication ? Une incapacité à convaincre? Au gouvernement de voir pendant qu’il est encore temps, il entame à peine son mandat.
L’approche qui consiste à évacuer le problème en taxant ceux qui manifestent «d’opposants politiques» et non d’opposants aux décisions est à déconseiller, car cela accorderait une capacité de mobilisation aux premiers dont ils ne disposent pas d’abord, pas tous les anti vax sont des fondamentalistes islamistes ou des gauchistes, ensuite c’est un appel à encourager la coercition ce qui serait dommageable pour l’image du pays.
Le choix porté sur un chef de parti politique et non un technocrate pour diriger l’exécutif est un signal clair que dans cette phase de son histoire le Maroc a besoin d’hommes et de femmes politiques capables de porter et faire aboutir les réformes par la force de la conviction, face à une opinion publique informée et mobilisable grâce aux réseaux sociaux.