On dit que «l’oisiveté est la mère de tous les vices», et on en a une très belle illustration en ce moment dans notre beau Maroc, qui accueille en son sein autant de merveilles et de gens formidables qui font sa grandeur, que d’intolérance et de désaxés assoiffés de violence.
Mettre sur le dos du confinement et du «9alt ma ydar» les doses de méchanceté, de diffamation, d’intolérance et de haine qui se déversent chaque jour dans cette poubelle que sont devenus les réseaux sociaux serait trop facile à vrai dire.
Non, dans ce Maroc que certains souhaitent transformer en Marokistan, l’oisiveté n’est pas la seule responsable des graves manquements au respect de l’autre que l’on a pu constater en l’espace de quelques semaines à peine.
Vous savez l’autre? Cet individu qui n’est pas nous, qui est marocain certes comme nous, mais qui doit pouvoir vivre sa vie comme il l’entend -dans le respect des lois, cela va de soi, bien que celles-ci ne soient pas immuables-, sans pour autant être jeté en pâture à une foule assoiffée de vengeance quand ce n’est pas aux défenseurs d’une idéologie suprématiste.
En l’espace d’une semaine, on aura eu droit à un joli aperçu de ce qu’est l’intolérance et la violence qui en découle. Et ces faits qui ont agité l’actualité marocaine mettent à nu également des contradictions qui nous habitent et, qui, loin de constituer une richesse, sont en train de diviser la société marocaine en plusieurs camps.
Un acteur marocain en état d’ébriété blasphème sur une vidéo partagée dans un groupe privé et un certain Maroc s’enflamme. Quand certains préfèrent apaiser le débat en disant que tout compte fait, ses paroles n’engagent que lui et que ça se passe «entre lui et son créateur», que d’autres encore arguent que «in fine, si tu ne l’aimes pas, tu zappes. Pas la peine d’en faire une histoire», un grand nombre de nos concitoyens s’insurgent...
«Il a insulté notre religion, il doit être puni», réclame cette foule vindicative dont la colère laisse à penser que les individus qui la composent sont blancs de tout péché et vierges de tout vice. Faut-il rappeler que cette vidéo a été partagée sur un groupe privé où les adhérents célèbrent le moment de l’apéro, alcoolisé, cela va de soi, et que si la vidéo a fuité, c’est par la volonté d’un ou plusieurs membres qui consomment eux-mêmes, donc, de l’alcool.
Mais nous ne sommes plus à une contradiction près tant nous avons tous dans notre entourage (quand nous ne le sommes pas nous-mêmes) ce buveur invétéré qui blasphème toute l’année durant sans que cela ne choque personne, et qui une fois arrivé le mois de ramadan, se transforme en super-prêcheur, super-muslim, quitte à ne plus dire bonjour à ses anciens compagnons de soirée (ou... de beuveries).
Passons aussi sur le fait qu’en cautionnant ce type de comportement, on cautionne la délation et ce qu’elle représente de plus abject. Alors oui, que justice soit faite, mais celle d’un Etat de droit, et non celle d’une foule invisible, qui ne dit pas son nom, au sein de laquelle se cache souvent des individus qui œuvrent en coulisse pour instaurer le chaos.
Ce monde virtuel, devenu le défouloir de gens qui jettent la première pierre et qui n’en sont pas moins, pour autant, des pécheurs, prend l’allure d’un Colisée. Cette arène grandiose où se pressait une foule assoiffée de sang, prompte à réclamer la mort des prisonniers et des gladiateurs. Hurlant de joie quand l’empereur de ce Circus Maximus accédait à sa demande, car voir tuer quelqu’un était un plaisir partagé et assumé par la populace. Ces spectacles sanglants avaient bien entendu un but, au delà de satisfaire les désirs sanguinaires du vulgus pecum, celui de montrer la force de la justice publique en action, et d’assurer le maintien de l’ordre.
Mais revenons au XXIe siècle, au Maroc, où l’histoire pathétique de cet homme qui blasphème n’est rien, en comparaison à d’autres faits beaucoup plus graves qui ont eu lieu cette semaine sur cette même toile. L’appel au meurtre, et plus précisément à la décapitation selon la loi de la charia, d’une prof de philosophie bien décidée à ne pas renoncer à ce qu’elle est, et à ce qu’elle pense. En somme, à ses libertés individuelles.
Mais mieux encore, dans ce registre des contradictions, car nous n’en sommes plus à une près, cet homme, qui a défaut d’être illuminé verse plutôt dans l’obscurantisme, diffuse ses messages de haine depuis l’Espagne, autrement dit une terre de «kouffars» si on doit reprendre la lexicologie de ces prêcheurs de haine. Comme c’est pratique de vouloir appliquer la charia et diffuser une vision distordue de l’islam, quand on est confortablement installé dans un Etat de droit qui prône les libertés individuelles, le respect de l’individu et les avantages sociaux qui vont avec. La bonne nouvelle, c’est que cet homme a été arrêté en Espagne, son lieu de résidence, et qu’on ne doute pas qu’il l’aurait été de la même manière s’il avait choisi de vivre chez lui, au Maroc.
Et enfin, pour clore cette sombre semaine, l’appel au meurtre, via une page Facebook, de trois jeunes hommes bardés de diplômes et de consécrations qui ont choisi de faire de la vulgarisation scientifique leur crédo en se servant de YouTube pour toucher le plus grand nombre. Pour eux, l’enjeu est de rendre accessible aux Marocains les sciences et l’histoire, en diffusant ce précieux savoir en darija. Encore une chose qui ne passe pas pour la toile obscurantiste, qui considère que les sciences vont à l’encontre de... l’islam. Les grands savants qui avaient fait la grandeur de la civilisation arabo-musulmane doivent, en ce moment même, se retourner dans leurs tombes… Mais rassurons-nous, une plainte a été déposée contre cette page et ses administrateurs, et justice sera assurément faite.
Face à ces trois cas de figure, chacun de nous nourrit ses propres opinions. C’est un fait et c’est un droit. Chacun de nous peut les exprimer, ça, c’est aussi un droit, et cela relève de la liberté d’expression.
En revanche, on peut ne pas être d’accord, ce qui est normal, et c’est là qu’intervient le dialogue, un art qui semble faire défaut à beaucoup d’entre nous. On est pourtant très à cheval chez nous sur la notion de respect qu’on met d’ailleurs à toutes les sauces. Toutefois, quand il s’agit de débattre, c’est la débandade, tant on a encore bien du mal à accepter des idées divergentes, un mode de vie différent, une façon d’être qui ne colle pas à ce qu’on considère être la norme. Mais ce qui est encore plus grave et de l’ordre de l’intolérable, c’est quand on en vient à ne plus oser s’exprimer librement de peur de représailles. Quand cette menace se tapit dans l’ombre, quand elle ne dit pas son nom.
C’est «du choc des idées que jaillit la lumière», dixit Nicolas Boileau, philosophe français du XVIIe siècle. Reprendre cette citation ne veut pas dire, comme ne manqueront pas de le souligner certains, «faire la promotion d’une pensée occidentale qui ne représente en rien notre culture arabo-musulmane». C’est une pensée que l’on devrait faire germer dans l’esprit de tous, peu importe l’origine et les croyances de son auteur, une loi universelle qui devrait être appliquée partout, car elle ne fait de tort à personne. Parce qu'elle témoigne, quand elle est respectée, de la grandeur d’un Etat, et ce, quoiqu’en pensent ceux qui tentent de faire basculer notre pays dans l’obscurité, d’appauvrir la richesse de son histoire et de SES cultures en vantant les bienfaits de l’ignorance et en prônant une vision tronquée de la religion. Sa spécificité et sa grandeur, le Maroc les tire indéniablement de valeurs nobles, en l’occurrence, la tolérance, le respect des différences et la richesse que représente le métissage. Ne l’oublions pas.
Le mot de la fin à un savant bien de chez nous cette fois-ci, Ibn Rochd (que les Occidentaux ont découvert à la fin de leur Moyen Age, sous le nom d'Averroès): «l'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence... Voilà l'équation».