Il y a quelques jours, sur les ondes d’une radio nationale, une animatrice à la voix voluptueuse invitait les auditeurs à confier leurs histoires d’amour, les aléas de leur vie de couple, afin de mieux appréhender les problématiques rencontrées par les Marocains au sein de leur vie à deux.
Etrangement, ce sont surtout des hommes qui appelèrent ce jour-là pour se confier, souvent au comble du désespoir. L’un d’entre eux se répandait ainsi sur sa femme, qui, se plaignait-il, n’avait pas la même conception du partage que lui. Elle refuse de partager son salaire, lui demande de l’argent pour payer le transport jusqu’à son lieu de travail et une fois revenue le soir à la maison, refuse de préparer à dîner et demande à son mari de cuisiner ou, mieux encore, de commander un repas. «Mais moi je ne me suis pas marié pour me faire traiter de la sorte!», se lamentait-il, «et encore moins pour devoir préparer moi-même à manger comme si j’étais un célibataire!».
De son côté, l’animatrice visiblement à court d’arguments le questionna alors sur l’âge de son épouse. «De quelle génération est-elle? Les années 90? Ah bon… elles réfléchissent comme ça les filles des années 90? Et as-tu essayé une fille des années 2000? Peut-être que ce serait mieux…». L’homme ne sachant trop quoi répondre à ces questions, l’animatrice convint avec lui que de son temps à elle, les femmes ne se comportaient pas de la sorte et que bien entendu, c’était mieux avant, en le couvrant au passage de bénédictions pour lui venir en aide.
Un deuxième auditeur succéda au premier et celui-ci, visiblement écorché par les épines d’une précédente malheureuse union, apporta à la lumière de son expérience son point de vue. «Depuis que les femmes travaillent, elles ne s’occupent plus de leur intérieur, elles veulent vivre comme des hommes», entama-t-il. «Bon, c’est vrai qu’aujourd’hui sans deux salaires, on a du mal à s’en sortir, mais tout de même… Ça n’enlève en rien les responsabilités de la femme chez elle», poursuit-il, mettant le doigt sur une vérité économique contemporaine qui suscite de nombreuses tensions au sein des couples. Car comment vivre la relation de couple «à l’ancienne» quand on doit, en tant que femme, travailler autant qu’un homme? Comment (et pourquoi) entretenir et préserver une relation équilibrée bâtie autour de la figure sacrée du patriarche qui commande et subvient aux besoins de la famille quand la femme travaille et gagne autant, voire plus que son mari?
«Aujourd’hui, les femmes gagnent leur vie, et ne manquent de rien. Pourquoi voudraient-elles épouser un homme si c’est pour se mettre sous sa coupe et perdre leur indépendance?», poursuivit l’auditeur en répondant à sa propre question: «les femmes célibataires ne veulent plus se marier par amour mais veulent épouser une situation financière. Elles vous scrutent de haut en bas, veulent connaître la marque de votre voiture, savoir quel job vous avez, combien vous gagnez, se faire inviter… C’est à un certain prix qu’elles sont prêtes à sacrifier leur indépendance. Mais dans quel monde vit-on? Ça ne donne pas du tout envie de se marier!», se lamenta-t-il alors.
Pour compléter ce trio masculin, un troisième auditeur appela à son tour pour contredire les deux premiers témoignages. «Moi je suis très satisfait de ma femme et je vais vous dire pourquoi! Pas plus tard qu’hier soir, je suis rentré du travail, et elle m’avait préparé une Rfissa. Et chaque jour, quand je rentre, elle me prépare de bons petits plats. Alors vous voyez, elles ne sont pas toutes pareilles!», s’enchanta-t-il. Contre toute attente, l’animatrice lui demande alors «mais dites-nous cher monsieur, le msemen, elle l’achète ou elle le prépare elle-même?». «Ah non lalla, elle pétrit la pâte elle-même!».
Poursuivant son interrogatoire, elle demanda alors: «fort bien, tbarkallah. Mais dites-nous, est-ce qu’elle travaille ou est-ce qu’elle est femme au foyer?», entendant par là, que si d’aventure elle parvenait à préparer des msemen faits maison tout en travaillant à l’extérieur la journée, elle aurait encore plus de mérite. «Oui Lalla, elle travaille et une fois rentrée à la maison, elle prépare à manger».
«Tbarkallah, tbarkallah, Allah y khalliha lik. Espérons que vous la remerciez comme il se doit alors», conclut l’animatrice. «Et comment!», s’exclama le mari, repu de bonne nourriture faite maison. «Quand vous allez dans un restaurant, le chef vient vous demander si vous avez bien mangé, si c’était bon. Ce à quoi vous lui répondez ‘oui merci chef, c’était vraiment délicieux’. Et vous savez quoi, il repart heureux en cuisine et se met à travailler encore plus dur pour vous satisfaire. C’est pareil avec ma femme».
Que retenir de ce débat sur les ondes? A entendre les propos de l’animatrice, que la femme est réellement le pire ennemi de la femme à n’en pas douter... Quant à ces messieurs, qui voient dans chaque «écart» de leur femme l’ombre néfaste du féminisme planer, qui accusent ce même féminisme de tous les maux et le tiennent responsable des échecs de leurs couples, peut-être serait-il temps de considérer la question de l’égalité au sein du couple et de s’interroger sur ce qui définit la masculinité.
Car oui, le Maroc n’est plus ce qu’il était, et les femmes d’aujourd’hui ne ressemblent plus à leurs mères et encore moins à leurs grands-mères. Le contraire n’aurait d’ailleurs pas permis au Maroc d’évoluer, de se développer et de se moderniser de la sorte.
De la même manière que les hommes ne ressemblent plus non plus à leurs aïeux mais entendent toutefois garder les privilèges liés à leur condition masculine. Alors que faire face à cette situation devenue affreusement banale où hommes et femmes peinent de plus en plus à s’entendre? Où les maris se disputent le pouvoir avec leurs femmes mais éduquent toutefois leurs filles pour qu’elles soient indépendantes et ne manquent de rien? Où l’on défend les bases d’une société juste et équitable entre riches et pauvres mais où l’on ne conçoit pas que cette même équité soit de mise entre sexes opposés?
Continuer ce bras de fer stérile pour conserver le pouvoir? Ou mettre de l’eau dans son thé et admettre que les temps changent et que les femmes sont après tout des êtres humains comme les autres qui aspirent à une chose somme toute normale: être considérées comme les égales de l’homme, avec le respect que cela implique?