Les J.O. de Tokyo se sont achevés en nous laissant un arrière-goût amer que fort heureusement la médaille d’or de Soufiane El Bakkali a su atténuer quelque peu. Mais tout de même… finir bon 63e du classement sur 206 pays participants, avec une seule médaille au compteur, pour 48 athlètes représentant la délégation olympique marocaine dans 18 disciplines… Il y a de quoi enrager.
Jusqu’à quand va-t-on trouver cela normal de se contenter de parler de nos exploits sportifs au passé? Comment se fait-il que des disciplines qui ont vu briller des athlètes marocains dans les années 80 et 90 n’ont pas évolué depuis d’un iota? Jusqu’à quand va-t-on se contenter d’applaudir les réussites de sportifs arabes ou maghrébins en se disant que ce sont aussi un peu les nôtres? Ou enfin de s’attribuer les mérites de ces sportifs européens, mais d’origine marocaine?
Il ne s’agit pas ici de blâmer les sportifs, mais bien de s’interroger sur les dysfonctionnements d’un domaine pourtant crucial, qui plombent les efforts et les rêves de ceux qui aspirent à évoluer dans une discipline sportive à haut niveau.
«La participation de la sélection nationale d’athlétisme aux Jeux olympiques de Tokyo n’était pas facile en raison du niveau élevé des pays participants», s'est justifié le porte-parole de la Fédération royale marocaine d’athlétisme, Mohamed Nouri, dans les médias. Ces propos-là ne sauraient justifier cet échec cuisant. Expliquer un ratage total à cause du niveau élevé des autres pays n’a pas sa place dans une compétition de haut niveau et un sérieux travail de remise en question s’impose.
Sport, culture et jeunesse, ce trio placé sous l’égide du même ministère depuis des lustres, souffrent d’être les parents pauvres des gouvernements qui se succèdent. Sans compter que pas une année ne se passe sans qu’un scandale ne vienne entacher l’image des fédérations sportives de notre pays.
Pas besoin d’aspirer à être sportif de haut niveau pour se rendre compte qu’il existe un véritable problème au Maroc en matière de sport. Pour peu qu’on souhaite inscrire son enfant à pratiquer une ou plusieurs disciplines sportives, on se rend très vite compte qu’il va falloir revoir nos ambitions et les siennes à la baisse. Les salles de sport dignes de ce nom, entendez par là avec un matériel utilisable et des coachs un tant soit peu formés et compétents, affichent des prix démentiels. Pour ceux qui n’en ont pas les moyens, il y a toujours les petites salles de quartiers, moyennant quelques centaines de dirhams par mois tout au plus. Mais leur état donne envie de pleurer.
Idem pour les cours de natation. On a le choix entre des cours bondés où certains vont jusqu’à graisser la patte du maître nageur pour qu’il accorde un peu plus d’attention à leur gosse qu’aux autres, ou encore des cours particuliers à plus de 100 dirhams de l’heure. Même topo du côté du tennis, où, pour fouler la terre battue, encore faut-il être parrainé et y laisser son slip, en signant un chèque à plusieurs zéros après la virgule.
Le surf? Oui, beaucoup s’y essaient, après tout le Maroc est en plus une destination très prisée par les professionnels internationaux de ce sport, ce serait vraiment hallucinant de ne pas en profiter nous-mêmes. Mais là aussi, on a bien du mal à s’imposer. Manque de suivi, de coaching tout au long de l’année, de sponsors, de professionnalisation de ce sport, devenu depuis quelque temps un phénomène de mode, et qui, de facto, tend de plus en plus les bras à une élite sociale…
On ne parlera pas de l’équitation, qui est l’apanage de cette même élite, ni du golf, ni de tant d’autres disciplines. Alors reste le foot, cette passion nationale, qui peine pourtant à produire des graines de champions, et les arts martiaux, des disciplines qu’on peut pratiquer quasi-gratuitement grâce à des associations de quartier, mais dans quelles conditions, si ce n’était la passion qui anime les moniteurs qui réalisent chaque jour un travail formidable pour insuffler un brin d’espoir à une jeunesse oisive et désabusée.
Malheureusement, cela ne suffit pas. Sinon, comment expliquer le choix de ces nombreux sportifs qui profitent de compétitions organisées à l’étranger pour fuir leur pays clandestinement, quand ils ne décident pas de braver les flots, quitte à y laisser leur peau. Et pour ceux qui parviennent à franchir le détroit, c’est depuis l’autre rive qu’ils expliquent leur choix en tapant sur ces fédérations qui ne leur ont pas laissé leur chance. Désorganisation, corruption, favoritisme de classe sociale, manque d’appui… Tout y passe. En plus de la fuite des cerveaux qui affaiblit le Maroc et freine sa course au développement, il faut aussi compter sur la fuite des sportifs.
En matière de sport comme d’éducation, le constat est le même. Le privé, et donc la qualité, pour les personnes aisées. Le public, et le manque de moyens, pour tous les autres. Au lendemain de ces J.O. de Tokyo qui méritent qu’on en parle, plutôt que de faire comme s’ils n’avaient pas existé sous prétexte qu’on n’a pas brillé sur les podiums, on aimerait savoir quel est donc le programme, le plan d’avenir que l’on prévoit pour la jeunesse marocaine?
Comment entend-on lui donner envie de grandir, de vivre et d’évoluer dans son pays quand même l’accès au sport est problématique? Comment espère-t-on lui insuffler l’espoir d’une vie meilleure? Comment le faire croire dans les institutions de son pays quand le sport, qui est censé représenter l’égalité entre tous, se fait le miroir d’une société où le fossé entre classes sociales se creuse à tous les niveaux?