Ah le Maroc… Ce pays de tous les contrastes et de toutes les contradictions, ce pays qui ne cessera de nous surprendre. D’un côté, un énorme potentiel, qui s’est révélé à plus d’un titre cette dernière année, de l’autre, des personnalités politiques au caractère loufoque qui, faute de nous tirer vers le haut, continuent de perpétuer cette image d’un pays sous-développé dont on ne veut plus.
Dernière preuve en date de ce qui s’apparente à une mauvaise série sud-coréenne doublée en darija à l’heure du ftour, la lettre de Abdelilah Benkirane… Ou plutôt THE lettre, parce que franchement, elle vaut son pesant d’or, cette missive qui a pour but d’annoncer de manière officielle "le gel" de son adhésion à ce parti islamiste, ayant une lampe à pétrole (!) pour emblème, au lendemain de l’adoption par le gouvernement du projet de loi sur la légalisation du cannabis à visées thérapeutique.
Le philosophe Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, décrétait à si juste titre dans un discours prononcé à l’Académie française en 1753, «le style est l’homme même». Une phrase bien connue de nous autres les Marocains pour avoir été reprise par le Roi Hassan II qui, en matière de style, savait de quoi il parlait, on sera certainement tous d’accord là-dessus. Voilà qui nous amène à parler du style de Abdelilah Benkirane au moment de faire cette annonce publique, d’une façon pour le moins étonnante.
Nous autres citoyens avons eu droit à une photo de la lettre en question, postée sur les réseaux sociaux, prise assurément avec un téléphone. Pas une copie, ni un scan d’une lettre un chouia officielle, avec un en-tête, une date, voire un cachet, etc. Non, pas même une lettre saisie à l’ordinateur sur un beau papier, et sur laquelle on apposerait élégamment sa signature à la main… Non, rien de tout ça.
Soit dit en passant, cette lettre de règlement de compte –car c’est bien de cela dont il s’agit– ressemble trait pour trait aux déclarations sur l’honneur que l’on amène à la Mouqataa pour en faire légaliser la signature. «Je soussigné flan tertelane, détenteur de la CIN T…., atteste sur l’honneur que blablabla». Oui, notre ancien chef du gouvernement a pris soin de préciser son numéro de CIN, et on ne vous cachera pas que ça nous a arraché un sourire. Après tout, s’il y a bien une chose que celui-ci a toujours maîtrisé, c’est l’art de faire rire le peuple. Il faut bien lui reconnaître ça.
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Une photo d’une feuille donc, pas même une A4, déchirée visiblement d’un calepin sur son côté gauche, où d’une écriture que l’on imagine aussi rageuse que l’état d’esprit de son auteur sur le moment, celui-ci nous informe de sa décision de tourner le dos à ses frères, ces traîtres qui ont dit oui à la légalisation "du kif", mot qu’il prend bien soin de mettre entre parenthèses, et, surtout, sans mentionner l’usage thérapeutique du cannabis dont il est, en fait, question. Ce n'est pas du tout la même chose, mais cela, Abdelilah Benkirane semble complètement l'occulter.
Et le sieur Benkirane ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Il a aussi décidé de rendre publics les noms des ministres auxquels il ne parlerait plus. Fini, plus un mot, plus un salamalek, Abdelilah Benkirane voit rouge et au même titre qu’un gamin dans sa cour de primaire qui fait sa première expérience de la trahison, il a dit «fache» à ses anciens frères, avant de signer rageusement sa lettre. On pourrait épiloguer longuement sur l’analyse de cette signature tortueuse qui vaut aussi le détour, mais on va laisser ça aux pros de la cryptographie, ou à la twittoma, qui s’en est donnée à cœur joie.
Alors que dire du style de notre ancien chef de gouvernement? On en rit mais d’un rire las; et soudain on est pris d’une grosse frayeur. C’est comme ça que nos ministres communiquent entre eux? Ca ressemble à ça, les arcanes du pouvoir? C’est comme ça que les décisions sont prises en haut lieu, par des élus portés au pouvoir? Sur un coup de sang? Otez-nous de ce doute, de grâce, messieurs, dames!
Si la rupture est consommée entre les frères pjidéistes, acculés et écrasés sous le poids de leurs contradictions de longue date, on ne peut pas dire que ça nous surprend, ni que ça nous attriste, tant la chose était prévisible. Des programmes politiques basés sur une perception binaire de ce qui est haram ou halal, une vie personnelle qui clashe complètement avec une pseudo-ligne de conduite exemplaire et qui, faute de cohérence, nous apprend qu’il faut faire ce qu’ils disent, mais pas ce qu’ils font, des hommes politiques attirés par la lumière comme des papillons de nuit, prêts à se griller les ailes pour être sous les spotlights juste une minute durant, quitte à aller à l’encontre des enjeux nationaux. La liste est longue…
Une chose est sûre, cette rupture est tout aussi consommée entre nous autres citoyens marocains et ce type de pratiques. Nous le savons plus que jamais, au terme de cette année qui a vu le Maroc briller de tant de façons, que nous valons mieux que tout cela et que surtout, nous méritons des hommes politiques à notre hauteur. Alors que le Maroc ne cesse d’être montré en exemple à l'étranger, notamment pour sa campagne de vaccination qui a mis K.O. les 27 de l’Europe, il est aujourd’hui inconcevable que l’on revienne en arrière. Nous avons enfin de quoi être fiers et c’est aussi avec beaucoup de panache et de discernement que l’on s’offusque de la condescendance que l’on décèle dans les propos de ces mêmes Occidentaux qui citent en exemple le Maroc, ce «pays sous-développé», ce «pays du tiers monde», qui arrive à faire mieux que la France ou l’Allemagne.
Ce nouveau Maroc, nous y avons pris goût, nous le méritons, nous l’avons construit, et il est inadmissible que nos politiciens ne prennent pas la mesure de cette avancée en continuant à patauger dans la médiocrité. Il est fini, le temps où on nous faisait prendre des vessies pour des lanternes!