Après trois mois de confinement et d’application de strictes mesures d’hygiène recommandées par l’OMS, le ministère de la Santé, les médecins et experts scientifiques tous azimuts, on s’attendait à ce que cette crise sanitaire laisse des traces et en l’occurrence, des traces propres, éclatantes, à vous donner envie de manger par terre.
Le port du masque, le lavage des mains à répétition, le savon, le gel hydroalcoolique, l’eau de javel… Tout ça aurait dû nous marquer un peu, beaucoup, énormément. Mais à peine sonnée l’heure de la libération, revoici nos concitoyens de retour dans l’espace public et avec eux leurs ordures à la pelle, et une bonne dose d’incivisme.
Sur la plage hier abandonnée, les estivants sont bel et bien là, collés, serrés, comme à la belle époque. La distanciation sociale, c’est décidément pas notre truc. Mais s’il n’y avait que ça… Dans cette galerie haute en couleurs que l’on retrouve chaque jour sur nos plages, il y aussi Mme Flana, son tajine en train de mijoter à même le sable et ses épluchures de légumes quelques mètres plus loin. Il y a cette petite famille venue bronzer, nager et surtout pique-niquer de 8 heures à 18 heures, et qui quitte la plage en laissant derrière elle les restes de son festin sans sourciller. Il y a ces Ronaldo en herbe que ça ne gêne pas le moins du monde de tâter du ballon au milieu des boîtes de thon Sevillana dont ils se sont repus entre deux coups francs. Il y a cette maman qui change la couche de son bébé et la jette à l’eau.
En marchant sur la plage le soir, quand elle est enfin vide de ces plagistes si peu respectueux, un immense sentiment de désespoir mais aussi de rage nous envahit, pour peu que l’on fasse partie de ces rêveurs qui pensaient que de cette crise sanitaire naîtrait (peut-être) quelque chose de bon, une envie comme ça, soudaine, de sauver la planète ou du moins d’en prendre soin.
Car au coucher du soleil, c’est un bien triste tableau qui s’offre à nous sur la plage. Partout, absolument partout, des sacs plastiques, des cadavres de bouteilles, des canettes, des boîtes de conserves, des couches-culottes jonchent le sable. Et dire qu’on est les premiers à se vanter de notre propreté légendaire à nous autres, les musulmans.
«Anadafatou min al imane», se rengorgent certaines de ces mêmes personnes qui enseignent non seulement la saleté à leurs enfants, mais aussi l’incivisme, l’égoïsme et le non-respect de l’environnement –comme si cette terre ne les concernait pas, comme si elle n’était pas elle aussi une création de ce Dieu que l’on prie–, mais qui, de retour à la mosquée, s’empresseront pourtant de faire leurs ablutions.
A vrai dire, il y a une autre expression typiquement marocaine qui qualifie parfaitement ce genre d’attitudes impardonnables: «laâkar âla el khnouna» (mettre du rouge à lèvre sur de la morve). On est propre sur soi, chez soi, mais à l’extérieur, c’est une autre histoire. C’est pas chez nous, donc on s’en fout, car près tout, y'a des gens pour ramasser derrière nous.
Et si on laissait les choses en l’état avec ces plages, ces parcs et ces espaces publics croulant sous les ordures? Peut-être que ces cons-citoyens se rendraient-ils compte qu’ils sont à l’origine de ce chaos, qu’ils auraient un sursaut de conscience? Ou peut-être, comme c’est devenu une habitude, fustigeraient-ils ce pays qui se fout de leur gueule, qui ne les respecte pas, qui ne les considère pas, en pointant du doigt ce gros méchant Makhzen, et en rêvant de ces pays occidentaux où il fait tellement bon vivre dans la propreté et le civisme?
Il y a des gens comme ça, qu’on connaît tous d’ailleurs, qui n’ont aucune sorte d’estime pour le pays où ils vivent et sont les premiers à balancer leurs ordures dans la rue depuis la fenêtre de leur voiture –ben oui faut qu’elle soit propre– mais qui, une fois passées les frontières, enseignent à leurs gosses qu’ici, dans ce pays occidental et civilisé, on ne fait pas ça. Allez comprendre…
Mais au fait, où est-elle donc passée notre police de l’environnement? Pouf, disparue sur la pointe des pieds. Pourtant, on aurait pu sacrément les remplir les caisses de l’Etat en corrigeant l’incivisme à coups d’amendes salées, comme dans ces eldorados si lointains et si propres. Ben voyons, à plus de 100 euros l’amende pour des détritus jetés dans la rue, et 68 euros le mégot, le chewing-gum ou le pipi contre un mur, ça vous calme.
S’il devait y avoir un mot de la fin, ce serait celui-ci: «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays», dixit John Fitzgerald Kennedy, Allah y rahmou.