Ma Naydach

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ChroniqueCertains décrètent qu’il faut désormais privatiser L’Boulevard pour filtrer les participants… Exit les cassos’, les ouled chaâb qui ne pourront pas se payer un ticket à 500 balles et qui resteront comme d’habitude à la porte, en train de regarder la bourgeoisie prendre du bon temps.

Le 02/10/2022 à 12h58

Il y a 23 ans, Casablanca assistait à la naissance de son premier festival de musique bien loin des standards des sons traditionnels. Metal, Rap, Hip Hop, les quadras d’aujourd’hui se souviennent encore avec émotion de l’émergence de cette incroyable scène casablancaise. On appelait ce mouvement, la Nayda.

L’émergence de ce festival, L’Boulevard, n’a pas été simple et les organisateurs ont accompli un incroyable travail de sensibilisation, auprès des citoyens, des autorités, des sponsors, sur le long terme, pour parvenir à faire accepter la différence des artistes mis en lumière sur leur scène.

C’était toute une époque, loin d’être facile à vivre, mais qui était porteuse de tant d’espoirs, incarnés par ce festival hors norme qui a toujours ouvert ses portes à tous les publics en conservant la gratuité de son concept, malgré le succès.

Et puis, 23 ans plus tard, à l’occasion d’une 20e édition très attendue après un arrêt dû à la pandémie, les choses tournent au vinaigre. Vendredi soir, alors qu’on annonçait une soirée exceptionnelle avec El Grande Toto, Dollypran, le stade du RUC a été pris d’assaut et la fête a viré à l’émeute.

Un public bien trop nombreux, des agents de sécurité débordés, des forces de l’ordre en trop petit nombre, et des casseurs venus en découdre… Un cocktail explosif, confiné dans un espace clos. La situation a dérapé. Les vidéos et témoignages diffusés sur les réseaux sociaux font état de bagarres dans les tribunes du RUC. On voit des chaises voler dans les gradins, des barres de fer utilisées comme projectiles et comme armes, des gens à moitié dénudés courir dans la poussière de la nuit, des cris déchirants fuser... Il est question de vols, de violences physiques avec usage de barres de fer, d’armes blanches, et aussi de viols et d’agressions sexuelles. Des témoignages, parmi d’autres, vous glacent le sang. Un jeune homme aurait assisté impuissant au viol de sa petite sœur… Un autre, à des violences sexuelles sur sa petite amie…

Pourquoi les choses ont-elles ainsi dérapé? Qui est responsable de ce chaos? Quid des victimes d’agressions et de leurs agresseurs? A cette question, l’organisateur qui pointe une défaillance du système de sécurité face à un public bien trop nombreux promet qu’une enquête a été ouverte par les autorités pour faire toute la lumière sur cette affaire, notamment les agressions sexuelles dénoncées par les victimes.

Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez nous? C’est aussi ce qu’on se demande, affligés, face à un tel chaos, un tel déchainement de violence qui fort heureusement, n’a pas fait de morts (d’après l’organisation). Aujourd’hui, chacun y va de sa réponse et de sa solution.

Certains pointent du doigt le type de musique joué dans ce festival. A quoi s’attendre d’un public qui écoute du Rap et du Metal, des genres musicaux catégorisés comme étant violents, avancent-ils, nous faisant replonger vingt ans en arrière à l’époque du procès pour satanisme de jeunes musiciens chevelus. La musique n’a pourtant jamais tué personne, au contraire. Elle adoucit les mœurs comme dit le dicton en servant d’exutoire à nos passions et à nos frustrations.

Pointer aujourd’hui du doigt un style musical et un festival pour mieux stigmatiser ceux qui en sont adeptes, c’est se tromper de problème et par la même occasion se foutre le doit dans l’œil. Plutôt que de brimer la culture, déjà trop peu présente sur notre territoire, il convient au contraire de la généraliser, de la vulgariser, d’en inonder le Maroc afin d’éclairer les esprits. La culture n’a jamais tué personne.

D’autres enfin décrètent, fatalistes, que c’est ce qui arrive quand on organise un festival gratuit au Maroc et qu’il faut désormais privatiser l’évènement pour filtrer les participants en fonction de leurs revenus. Exit les cassos’, les ouled chaâb qui ne pourront pas se payer un ticket à 500 balles et qui resteront comme d’habitude à la porte, en train de regarder la bourgeoisie prendre du bon temps. Encore une solution qui n’en est pas une, car c’est précisément à cause de cette logique déshumanisante et clivante, qui déshabille Mohammed pour mieux habiller Mehdi, que nous en sommes là aujourd’hui.

Ce qui s’est exprimé ce soir-là, malheureusement, c’est une rage non contenue. Certes, on peut pointer du doigt des casseurs, des cas isolés, mais on le sait très bien quand on décide de ne pas se voiler la face, que notre jeunesse est en péril, qu’elle va très mal. On le voit tous les jours, avec ces jeunes risquer leurs vies enmontant sur le toit des bus, en s’accrochant aux rams de tramways, aux portes de camions, tout cela pour se déplacer dans la ville.

Sur la plage l’été, quand le peuple se brasse sans démarcations de classes sociales, on les voit ces jeunes désoeuvrés et perdus, les yeux dans le vague, prêts à en découdre, la bouche remplie d’insultes, qui vous mendient quelques dirhams pour s’acheter un sandwich ou rentrer chez eux le soir.

On les voit aux carrefours, la journée, quand cachés derrière nos lunettes noires, on fait semblant de ne pas les voir, alors qu’ils devraient être à l’école. On les voit aussi errer hagards, un plastique de colle plaqué sur le visage, ou effondrés sur les trottoirs sales sous une couverture miteuse, qu’on prend bien soin de contourner de peur de se faire agresser. Enfin, on les voit aussi vivre dans la rue en bandes organisées, avec à leur tête un chef qui n’a parfois pas plus de quinze ans et qui fait la loi, à coups de poings et de couteau.

Enfin, quel signal plus alarmant que tous ces jeunes, l’avenir de notre pays, qui se jettent par grappes à la mer pour tenter une autre vie ailleurs, quitte à en mourir. Dans quelle détresse vivent-ils pour être ainsi persuadés, à peine adolescents, que leur vie ne vaut plus la peine d’être vécue dans ce pays?

Si le Festival L’Boulevard a un tort, c’est celui d’avoir minimisé son système de sécurité et d’avoir peut-être péché par excès de confiance dans ses bonnes relations avec son public. Mais on ne peut pas lui reprocher d’être responsable de tels comportements déviants qui ne sont in fine que les résultats de décennies et de décennies d’abandon d’une jeunesse marocaine laissée pour compte. Voilà le résultat de la débâcle de l’école publique, du mépris d’une politique de la ville à l’égard d’une jeunesse désoeuvrée sans installations sportives, ni activités culturelles gratuites à sa disposition...

Alors que faire? Annuler tout type de rassemblements gratuits au Maroc pour éviter les heurts? Confiner les pauvres dans leurs quartiers périphériques? Ou prendre enfin le taureau par les cornes et affronter le drame que nous sommes en train de vivre pour espérer sauver au moins la prochaine génération? Pour celle-ci, il est peut-être déjà malheureusement trop tard…

Par Zineb Ibnouzahir
Le 02/10/2022 à 12h58