Semsar à tout prix

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueSuper semsar, le super héros qui va nous épargner un cauchemar administratif qui peut durer plusieurs jours parce qu’on a oublié de faire légaliser un papier. Très aimable, toujours disposé à aider, il annonce alors la couleur: «je s’occupe de tout, tu s’occupes de rien».

Le 04/07/2021 à 11h59

Il y a un métier que nous autres Marocains connaissons bien, c’est celui de semsar. On pourrait traduire ça par un intermédiaire, un inconnu à qui on fait confiance pour faire des trucs chiants à notre place, moyennant une certaine somme d’argent, un genre d’hommes (ou de femmes) à tout faire dont l’efficacité dépend de l’étendue de son réseau.

Les semsaras officient aujourd’hui dans tous les domaines. Immobilier, recrutement de personnel de maison, achat ou vente d’automobile et jusqu’à la gestion des formalités administratives dans le service public. Et c’est précisément ce point qui nous intéresse aujourd’hui car il concerne tous ceux qui ne sont pas des wled flane, mais qui souhaitent aussi bénéficier de facilités grâce à des contacts bien placés.

Avec le Covid, beaucoup de services administratifs se sont digitalisés et aujourd’hui, il faut notamment prendre rendez-vous sur Internet pour pouvoir accéder aux administrations. Objectif sur le papier, réduire l’attente sur place pour limiter les contacts et favoriser la distanciation sociale. Mais la réalité est tout autre et quiconque a dû ces derniers mois renouveler sa CIN, sa carte grise ou son permis en a fait l’expérience.

A 9 heures du matin, au service des mines de Hay Hassani, à Casablanca, la foule qui se presse devant les portes de cette administration est ahurissante. Il y a bien des barrières, qui avaient certainement pour rôle d’organiser des files d’attente, il y aussi des empreintes de pas colorées au sol pour indiquer la marche à suivre et les distances à respecter entre les uns et les autres… Mais allez savoir pourquoi, quand on arrive sur place, son petit papier de rendez-vous imprimé à la main, bien disposés à respecter toutes les consignes, la réalité prend le dessus et fout littéralement en l’air toutes ces bonnes intentions. Au service des mines, comme aux arrêts de bus, la foule se presse compacte, jouant des coudes pour se frayer un chemin jusqu’aux portes de l’administration, gardées par deux agents de sécurité qui font plutôt office de videurs.

«Toi tu rentres, toi tu rentres pas!», «les rendez-vous de 9 heures à gauche!», «les rendez-vous de 10 heures, qu’est ce que vous faites déjà là? Ecartez-vous!», «ceux qu’on va appeler par leur nom, répondez ‘présent’ et avancez-vous», «ceux dont le nom n’est pas inscrit sur la liste affichée sur le mur, revenez cet après-midi»… Les consignes aboyées pleuvent et s’y retrouver dans ce magma humain, transpirant sous le cagnard, vociférant, se poussant sans vergogne, est insupportable.

C’est là qu’intervient super semsar, ce super héros qui va nous épargner ce cauchemar qui peut durer plusieurs jours parce qu’on a oublié de faire légaliser un papier. Très aimable, toujours disposé à aider, il annonce alors la couleur. «Je s’occupe de tout, tu s’occupes de rien», moyennant 500 balles pour son contact au service des mines qui va traiter notre dossier dans la minute, sans prise de rendez-vous, sans qu’on ait même pas besoin de se déplacer, ni lui non plus d’ailleurs car c’est fièrement qu’il nous explique «moi, je ne rentre pas là dedans, c’est lui (son contact) qui sort chez moi». Ajoutez à cela sa commission, environ 200 dirhams…

Voilà comment on en arrive à envisager de payer 700 dirhams pour un service censé être gratuit et rapide. Voilà aussi, et surtout, le revers de la médaille quand on parle de digitalisation des services de notre pays. Sur le papier, ça claque. Sur Internet, ça fonctionne. Mais sur le terrain, la modernité se casse les dents sur un système gangrené par la corruption, l’incompétence et les passe-droits.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 04/07/2021 à 11h59