«Bats ta femme, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait». Un dicton prononcé comme une sentence, brandi comme une épée de Damoclès sur la tête de celles qui resquillent. Une façon de dire à la fille qu’on éduque, à la femme qu’on a épousé: «j’ai tous les droits sur toi».
Certains pensent même que cette phrase est tirée d’un verset du Coran… A tort évidemment. Un petit tour sur les forums de discussion dont regorge le web s’avère éloquent et démontre à quel point la mauvaise compréhension des textes religieux peut asseoir des comportements déviants.
Pour réfuter cette phrase ou au contraire la justifier, chacun y va de son analyse, de son interprétation, de son hadith, de son verset ou de l’avis de tel ou tel cheikh… Et in fine, chacun reste sur sa faim, emmuré dans ses doutes.
Au quotidien, cette phrase, terrible, se traduit de bien des manières. A commencer par la non-assistance à personne en danger dont font preuve bon nombre de personnes quand leur chemin vient à croiser dans la rue celui d’une femme qui se fait tabasser par un homme.
«N’interviens jamais quand tu vois une femme se faire taper en pleine rue. On ne sait jamais. C’est sûrement son mari et il ne faut pas se mêler des histoires de couple...». Autre illustration de ce qu’on nous apprend dès notre enfance.
Pourquoi nous attarder sur ces phrases en particulier? Parce qu’elles sont le reflet d’un problème sociétal grave et profondément ancré au Maroc: les violences commises à l’encontre des femmes et leur banalisation.
Dans notre pays, quoiqu’elle fasse, la femme est coupable. Coupable d’avoir attisé la convoitise, coupable d’avoir provoqué la colère de l’homme, coupable de lui avoir fait perdre son sang-froid, coupable de ces coups qu’il lui porte… Pour se racheter, elle ferait mieux de se taire, de lui pardonner, de passer outre, de se faire oublier. «Allah y sameh».
Pire que tout, cette violence est aujourd’hui à ce point banalisée qu’elle se paie même le luxe de s’inviter dans les médias, sur les ondes des radios ou les plateaux télévisés.
Brandie comme un étendard de la virilité suprême, on s’en vante, à l’instar de ce pseudo-chanteur, Adil El Miloudi, qui explique, fier de lui, plein d’assurance et de morgue : «un jour j’ai tabassé ma femme en Espagne, ils m'ont mis en garde à vue avant de me relâcher. Au Maroc, cela est normal, chacun peut faire ce qu’il veut de sa femme, la frapper, la tuer»… Et d’affirmer le plus sérieusement du monde: «celui qui ne tabasse pas sa femme n’est pas un homme».
Des propos tenus devant un animateur tiède, sans conviction, qui réfute mollement les propos de son invité, mi-gêné, mi-amusé, certainement excité à l’idée du buzz médiatique que fera son émission, et qui s’avance même à traduire en français ce discours abject à son autre invité, l’acteur franco-algérien Sami Naceri.
Outré, le Sami Naceri? Pas le moins du monde. Lui-même, qui a, pour rappel, été condamné pour des actes de violence à l’encontre de son ex-compagne avant d’être relaxé en 2015, y va de son petit commentaire. «En somme c'est l'amour», argue-t-il avant de conclure «Mais une petite tarte dans la gueule de temps en temps...».
Cette désinvolture face à ce sujet gravissime qui fait des victimes dans nos rues, chaque semaine qui passe, est devenue monnaie courante.
Le même Adil El Miloudi s’était déjà forgé une petite réputation en prenant la défense de Saâd Lamjarred alors que celui-ci était accusé de viol en France. Mais ce soutien à la «pop star» marocaine, il n’est pas le seul, à sa décharge, à l’exprimer haut et fort, même après la révélation de l’affaire de la Côte d’Azur en France.
L’affaire Lamjarred est un exemple probant de notre relation avec la violence et témoigne également de l’aveuglement dont font preuve certaines femmes qui banalisent à leur tour des comportements déviants.
Car parmi les nombreux soutiens de la pop star, beaucoup de femmes, dont certaines sont même des personnalités publiques, animatrices, chanteuses ou influenceuses qui n’hésitent pas à partager sur les réseaux sociaux des photos d’elles, tout sourire, en mode collé-serré avec le chanteur. Que doit-on comprendre de ces images et de ces messages de soutien postés par ces femmes connues du grand public? Doit-on voir, mesdames, un acte de courage dans cette démarche? Une preuve de votre fidélité à toute épreuve en matière d’amitié? De votre clairvoyance en matière d’homme et de l’aveuglement a contrario de la justice? Quel est donc le message que vous adressez à des millions de femmes, de jeunes filles? Que cet homme là a beau être accusé d’agressions sexuelles, il n’en demeure pas moins un mec sympa dans la vraie vie?
Petite lueur d’espoir toutefois pour celles et ceux qui parviennent encore à se rappeler que la violence à l’encontre des femmes n’est pas un sujet à prendre à la légère et encore moins une manière de faire le buzz, la nomination récente au Maroc d’un Comité national chargé des femmes victimes de violence, qui sera présidé par Zhour El Horr.
Ancienne magistrate, présidente de plusieurs tribunaux dont celui de la famille à Casablanca, conseillère à la Cour suprême et fondatrice de l’Association marocaine pour le soutien de la famille…Avec une femme de cette trempe, qu’on aurait adoré voir siéger à un poste de ministre, on peut enfin espérer un changement, ne serait-ce que dans les arcanes du système judiciaire et les textes de loi, en attendant de sensibiliser nos concitoyens aux notions de respect de l’intégrité physique et morale, de respect tout court, et d’amour de l’autre.