Quatre mois de confinement, de disette, de chômage, de frustrations, d’angoisses, de maladies chroniques passées au second plan, de licenciements, de fermetures définitives, d’envies de divorces… n’auront finalement pas eu raison de ce besoin irrépressible de reprendre nos vies là où nous les avions arrêtées, avant la pandémie du Covid-19.
Aujourd’hui, partout dans nos rues, le masque se fait de plus en plus rare, bien qu’il soit toujours disponible à la vente. La distanciation sociale, elle aussi, n’est plus qu’un vague souvenir que l’on garde de cette mesure inhumaine qu’on a tenté de nous imposer pour notre bien. Quant au gel hydroalcoolique, son usage n’a plus aucun sens. Après tout pourquoi se laver les mains comme un névrosé quand on ne respecte pas les gestes barrières fondamentaux?
Tous les jours nous assistons à des scènes de plus en plus incohérentes. Dans cette boulangerie où les employés servent leurs clients sans porter de masques ni de gants. Dans ce restaurant où l’on masque les employés sans stériliser les tables, ni les cartes qui passent de main en main. Dans ce taxi, où le chauffeur est le seul à simuler une protection en portant son masque sous le nez. Mais aussi à la plage, dans les bus, les souks, où la foule s’agglutine en lots compact.
Certes, le Maroc n’est pas le mauvais élève de la classe à ce jeu-là car on constate les mêmes comportements dans d’autres pays du monde. Ceci étant dit, il ne s’agit pas de nous dédouaner en nous disant que finalement, c’est partout pareil, mais de saisir cette occasion pour nous remettre en question un tant soit peu.
Incivisme, ignorance, bêtise? Comment qualifier ce comportement «j’m'en foutiste» qui plombe aujourd’hui les efforts surhumains déployés pendant des mois par les autorités, le corps médical, la sphère scientifique et tous ceux qui ont œuvré de près ou de loin pour sauver ce pays du désastre?
Un peu de tout ça certainement. Ajoutons à cela aussi une bonne dose d’humanité dans tout ce qu’elle a de plus incohérent et de bas, et qui fait que ce qui était important hier ne l’est plus aujourd’hui. Et cette capacité d’oublier est notre plus grande force comme elle est aussi notre plus grande faiblesse.
Il y a aussi dans ce retour à la normale, beaucoup de cruauté et d’égoïsme, car on finit par se dire sans oser l’avouer qu’in fine, ce sont les plus faibles qui partiront en premier. «N’est ce pas dans l’ordre des choses? Ne faut-il pas laisser faire la nature plutôt que de la contrer constamment à coups d’avancées scientifiques et médicales?», murmurent ces petites voix dans nos têtes.
N’oublions pas non plus le discours religieux qui joue ici un rôle prépondérant. Combien de fois n’a-t-on pas entendu des réfractaires aux mesures de protection déclarer fièrement: «je n’ai peur que d’Allah!».
Et enfin et surtout, on peut aussi se questionner sur la notion de citoyenneté qui nous fait visiblement défaut et sur cette défiance ressentie envers les institutions du pays. Au point qu’on préfère se convaincre de vastes complots ourdis par Bill Gates pour décimer l’Afrique plutôt que de concéder à faire un effort pour protéger les siens.
Comment adhérer à une cause nationale quand on ne soutient pas son pays? Comment penser à reconstruire un nouveau monde post covid-19 quand on ne nourrit aucun espoir de vie meilleure dans sa propre patrie? Comment convaincre que l’on œuvre pour le bien des citoyens quand ceux-ci voient dans toute aide une tentative de manipulation?
Cette crise aura révélé bien des choses et parmi celles-ci, le besoin urgent de donner les moyens et les chances à tous les Marocains de devenir des citoyens éclairés qui n’attendent pas la menace d’un bâton que l’on brandit pour avancer dans un sens ou dans l’autre, qui votent pour les bonnes raisons et qui ont envie de se politiser et de tirer leur pays vers le haut.
Alors, n’oublions pas que parmi les secteurs en crise qu’il faut relancer d’urgence, figure en tête de liste, et depuis de trop nombreuses années, l’accès à une éducation de qualité pour toutes et tous.