Je me souviens, moi qui ne suis plus si jeune, mais pas si vieux non plus, quand ce jour-là les ouvriers et autres salariés qui sont plus ou moins pas très contents de leur sort, sortaient en masse pour faire la fête à leurs patrons et les traiter de tous les noms. Les défilés étaient gigantesques, les banderoles énormes et les slogans percutants.
Je ne suis pas très sûr si tout cela donnait la trouille aux patrons de l’époque ou ceux qu’on appelle aujourd’hui «chefs d’entreprises», mais ce que je sais, c’est que bon an mal an et petit à petit, cela faisait avancer les choses. En tout cas, je ne suis pas ici pour faire l’apologie de la lutte des classes ni encore moins de jeter de l’huile sur le feu, un feu qui est devenu si doux qu’il ne brûle même plus, mais, comme je disais plus haut, j’avais prévu de vous parler du 1er mai, et d’ailleurs, je vais le faire.
Je vais vous en parler non pas pour vous relater du peu de monde qui l’a réellement fêté ni de l’impact quasi inexistant des manifestants, mais d’un événement visiblement et visuellement émouvant qui a eu lieu ce même jour mais qui, au lieu de m’émouvoir, m’a plutôt fait rigoler. Il s’agit de la crise de larmes qui s’est emparée de notre Chef du Gouvernement alors qu’il faisait son discours traditionnel lors du meeting organisé à cette occasion par le syndicat de son parti.
Cette information a été rapportée notamment par la presse électronique, et c’est ce qui m’a permis de voir la photo de ce moment mélodramatique. Loin de moi l’idée de remettre en causse l'émotivité de M. Benkirane, ni de douter de la sincérité de sa réaction lacrymogène, mais ce qui m’a fait rire, c’est quand j’ai appris qu’il n’avait pas été ému en racontant un quelconque événement triste qui lui serait arrivé comme cela peut arriver à n’importe quel être humain qu’il soit ingénieur ou ministre, simple mineur ou pompiste, mais plutôt en relatant les succès électoraux passés ou à venir de son parti. Avouez que c’est plutôt insolite.
Oui, je sais qu’il y a ce qu’on appelle les larmes de joie, mais à vue d’œil, c’était, comment dire… des larmes de défi. Vis-à-vis de qui ? Essayez de deviner. En vérité, si j’ai ri et que je continue de rire en regardant cette image, c’est parce que cela m’a rappelé une anecdote similaire qui m’avait été racontée par un copain qui l’avait vécue de très près. Permettez-moi de vous en faire le récit.
Cela s’est passé il y a de nombreuses années lors d’une campagne électorale. Mon pote avait accompagné, à sa demande, un de ses amis, candidat pour un siège de député ou de conseiller dans la région de la Chaouia. Ce jour-là, notre candidat avait décidé de s’offrir un bain de foule dans un des souks hebdomadaires situés dans sa circonscription et prononcer à la fin de la journée un discours à ses électeurs. Tout cela fut fait et mon ami avait suivi d’un œil curieux, mais sans plus ce parcours du combattant qui voulait battre tout le monde. Puis, au moment où, hissé sur une caisse en bois, son ami candidat était en train de prononcer allègrement son discours entrecoupé d’applaudissements nourris des admirateurs chauffés par des chauffeurs de souks recrutés pour la circonstance, il se mit soudain à pleurer comme une madeleine.
Mon copain a été très surpris par cette explosion d’émotion subite, car, comme il me l’avait raconté, il le connaissait bien et ne l’avait jamais vu chialer comme ça avant. Alors, à leur retour dans la voiture, il lui posa tout normalement la question: «Dis-moi, pourquoi tu as pleuré tout à l’heure?». Et notre candidat de lui rétorquer du tac au tac: «Ouach n’ta t’guad 3liha?». Traduction: «Est-ce que toi tu es capable de le faire?». Voilà. J’ai fini mon récit qui est, je vous assure, tout à fait authentique.
Comme vous l’avez sans doute compris, Il n’y a absolument aucun parallèle entre les deux histoires, cependant, j’ai quand même envie d’en dégager une petite morale inspirée des fables du fabuleux La Fontaine: «Rien ne sert de pleurer, il faut mentir à point». Cela étant dit, faites comme si je n’ai rien dit car moi je suis payé pour vous faire marrer et non pour vous faire chialer. Comme dirait l’autre, «chacun son métier et les lecteurs seront bien amadoués». Maintenant, je voudrais vous dire vivement plus de joie et, si possible, plus de sincérité, et vivement mardi prochain.