Un artiste arabe consacré dans le cadre d’une rétrospective au centre Pompidou? Du jamais vu! Farid Belkahia, l’un des principaux fondateurs de la modernité artistique marocaine et plus largement arabe, est ainsi le premier à investir de la sorte les très convoitées cimaises de Beaubourg.
A travers l’exposition d’une partie de l’oeuvre de Farid Belkahia, l’histoire de l’art prend enfin conscience de la nécessité d’ajouter de nouveaux chapitres au récit jusqu’à présent élaboré, s’ouvrant ainsi à un champ géographique de la modernité qui n’a cessé, lui, de s’élargir au fil des ans.
Le choix de Farid Belkahia, auteur et acteur de cette riche histoire de l’art à plus d’un titre, s’imposait donc avec force, comme une évidence, pour participer à l’écriture de l’histoire des modernités non-occidentales.
La production de Farid Belkahia constitue en effet l’une des grandes réussites esthétiques de l’âge postcolonial, tant celle-ci se distingue par une conception de la modernité qui lui est propre et qui dialogue avec traditions vernaculaires et art ancestral, tranchant ainsi avec nombre des avant-gardes occidentales qui prônaient une tabula rasa.
Lire aussi : France: la rétrospective dédiée à Farid Belkahia au Centre Pompidou reportée, en raison des mesures sanitaires
Dans un communiqué de presse, le centre Pompidou annonce que l’exposition, qui a vu le jour dans le cadre d’un partenariat avec l’Arab Museum of Modern Art de Doha et d’une étroite collaboration avec la fondation Farid Belkahia de Marrakech, retracera les grandes séquences de l’œuvre de Farid Belkahia. De Prague et la période expressionniste, aux œuvres en peau et la poétique des signes, en passant par L’École de Casablanca et le choix du cuivre… Un voyage au cœur de l’œuvre de l’artiste qui rassemble près de 140 œuvres, incluant peintures, dessins, sculptures, peaux et cuivres.Clou de cette exposition, «Hommage à Gaston Bachelard» (1984), qui a rejoint la collection du Centre Pompidou en 2013.
Un parcours multidirectionnelsNé à Marrakech en 1934, Farid Belkahia y réalise sa première exposition en 1953 avant de rejoindre Paris en 1955 où il intègre l’École nationale supérieure des beaux-arts. Afin de mieux prendre ses distances avec l’académisme de cette dernière et, plus largement, avec l’esthétique française, il part en 1959 étudier la scénographie théâtrale à Prague où il demeurera jusqu’en 1962.
C’est là que ses premières grandes œuvres voient le jour. Le style expressionniste, qui était le sien depuis ses débuts, va alors se développer dans trois principales directions que s’évertue à tracer cette rétrospective anthologique.
© Copyright : DR
Avec l’une, la figure humaine permet une évolution de la veine expressionniste vers un primitivisme de la représentation. Avec une autre, s’affirme un projet de définition d’un répertoire de formes essentielles. Enfin, avec la troisième, apparaît le thème de l’accouplement qui s’incarne dans une forme ondulatoire annonçant la période à venir.
Lire aussi : Vidéo. Une sculpture de feu Farid Belkahia installée devant le Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain
Le choix du cuivreÀ son retour au Maroc en 1962, Farid Belkahia est nommé à la tête de l’École des beaux-arts de Casablanca. En compagnie notamment des artistes Mohamed Chabâa et Mohamed Melehi, et en se situant clairement dans le sillage du Bauhaus, il va y révolutionner l’enseignement artistique en mettant en relation la création contemporaine et l’artisanat traditionnel (peintures de plafond de mosquées, orfèvrerie ou tapis berbères).
L’engagement dans cette nouvelle voie est concomitant de son abandon progressif de la peinture au profit du cuivre, matériau hautement inscrit dans la tradition artisanale locale. Comme il l’explique, «le choix du cuivre est d’abord un acte de résistance à la colonisation». Ce sont des œuvres sur cuivre qu’il présentera dans l’espace public, lors de l’exposition «Présence plastique», sur la place Jemaa el-Fna de Marrakech, en 1969, manifestation fondatrice de la modernité marocaine.
© Copyright : DR
Ces bas-reliefs en cuivre donnent corps aux formes ovoïdes et ondulantes ainsi qu’au jeu du positif et du négatif propres au style de ce que l’histoire de l’art nomme l’École de Casablanca, une mouvance dont la reconnaissance est désormais très large.
Lire aussi : Vidéo. Farid Belkahia et l’école de Casablanca célébrés à Marrakech
L’art dans la peauAu milieu des années 1970, après avoir quitté la direction de l’Ecole des beaux-arts de Casablanca, Farid Belkahia radicalise encore sa démarche et décide de faire de la peau le médium central de son art, convoquant ainsi l’héritage d’une culture matérielle ancestrale.L’artisanat du cuir est millénaire au Maroc. Outre sa dimension vernaculaire, la peau possède un caractère organique adapté à la poétique du corps, de la fécondation et de l’engendrement, qui est celle de Belkahia. Avec la peau, la couleur peut faire son retour, par l’emploi de pigments naturels (henné, safran, cobalt, notamment) et une pratique de la teinture qui a l’avantage de préserver le caractère organique du support.
© Copyright : DR
Par leurs formes, mais également par l’alphabet de signes qui est comme tatoué à leur surface, ces peaux tendues sur bois témoignent d’un singulier imaginaire du mouvement, de la tension et de l’attraction qui unit érotisme et spiritualité.
Lire aussi : Vidéo. La Fondation Farid Belkahia, future pépinière de chercheurs
Le dessin, ce moment de bonheur intenseL’exposition donne également une place importante au dessin qui fut, pour Farid Belkahia, une pratique quotidienne. Plus encore que la nécessité de l’étude préparatoire et de l’expérimentation, deux données essentielles motivent l’importance de son activité graphique. C’est tout d’abord la passion du stade initial qui explique l’intense production graphique de l’artiste.
En effet, le matin de la création est un moment de bonheur intense pour Farid Belkahia car cette phase ne prive pas encore l’œuvre d’une partie de ses possibles, ce que fera fatalement le stade de la réalisation. Cette passion se retrouve notamment dans un ensemble abondant de pièces à travers le thème de l’aube. C’est également la liberté d’une création non limitée par les contraintes de la matière et de la technique qui le fascine. Tout est alors possible comme le révèlent les nombreux projets de sculptures qui habitent les rêves de l’artiste.
Farid Belkahia - Pour une autre modernitéJusqu’au 19 juillet 2021 (date d'inauguration pas encore annoncée)Paris - Centre Pompidou Galerie du Musée et Galerie d’art graphique, niveau 4