Joseph Giovannini, architecte, critique et auteur du livre Architecture Unbound: A Century of the Disruptive Avant-Garde, dans les pages duquel figure Zaha Hadid, parmi d'autres rebelles créatifs qui ont redéfini l'architecture de notre temps, rend également hommage à cette grande dame dans un article publié dans les colonnes de Vanity Fair.
Et l’auteur de s’intéresser particulièrement aux derniers projets de cette prêtresse de l’urbanisme contemporain qui a connu aux cours des cinq dernières années qui ont précédé sa mort, un succès fulgurant dans le monde arabe, et notamment au Maroc.
Le monde arabe, ce rêve qui se réalise Elle qui avait «des réserves quant à l’intérêt du monde arabe pour son travail (…) commençait à recevoir des commandes dans la région à la fin de ses 40 ans de carrière», est-il souligné, en rappelant les propos amplis de regrets de l’architecte anglaise d’origine irakienne qui déclarait dans une interview: «mon plus grand échec a été dans le monde arabe».
Et, poursuivait-elle alors, persuadée de ne jamais exercer son art dans les pays arabes, «je ne pense pas que les Arabes [me] respectent assez, parce que je suis Arabe. Les Arabes aiment les étrangers… Si j'étais Américaine, ils m'adoreraient». Mais, quelques années avant sa mort, Zaha Hadid se voit enfin ouvrir les portes de cet ailleurs si convoité, celui de ses racines.
Lire aussi : Diapo. Tour d'horizon des plus belles réalisations de Zaha Hadid
Ainsi, après quarante années de carrière, une trentaine de bâtiments extraordinaires conçus par Zaha Hadid ouvrent enfin au Moyen-Orient, mais aussi au Maroc, «où sa réputation connait une remarquable vie après la mort», note l’auteur de l’article.
Icônes d’un Moyen-Orient en plein essor, les bâtiments avant-gardistes de Zaha Hadid constituent une nouvelle vitrine pour des pays souhaitant afficher leur nouvelle identité progressiste, explique l’auteur. Charismatiques, avec des formes captivantes «coulant comme des dunes», et des «lignes sinueuses rappelant la calligraphie arabe», les édifices de l’architecte rompent avec le style de l’époque coloniale.
Devenue une «rock star du monde de l’art et du monde arabe», la cote de Zaha Hadid grimpe auprès des dirigeants arabes, explique Joseph Giovannini, et notamment des plus jeunes, «parfois éduqués en Occident», pour lesquels «Hadid est devenue l'architecte cool d'une génération qui ne voulait pas du Louis XIV de leurs grands-pères ou du modernisme fade et fonctionnel de leurs pères».
Le Grand Théâtre de Rabat, un coup de cœur royalEt de s’intéresser alors à l’un de ses projets les plus emblématiques, en l’occurrence le dernier, celui du Grand Théâtre de Rabat, en revenant sur sa genèse. «Lorsque la candidature de Hadid n'a pas remporté le concours de 2009 pour un opéra à Casablanca, le roi du Maroc, Mohammed VI, alors âgé de 45 ans, a admiré la conception perdante de Hadid et l'a invitée à construire le théâtre dans la capitale, Rabat», se souvient l’auteur en évoquant ce concept qui prendrait racine dans une ancienne plaine inondable.
Lire aussi : Voici le futur exploitant du Grand Théâtre de Rabat
Zaha Hadid a alors visité le site, avec ses équipes, «enveloppée dans un châle vaporeux et portant de grandes lunettes de soleil carrées». Nils Fischer, son directeur de projet pour le Grand Théâtre de Rabat, explique au magazine que «Zaha s'est beaucoup intéressée personnellement au projet».
Elle aurait pu retranscrire le dessin du projet de Casablanca, «que le roi aimait déjà», rappelle-t-on dans l’article, mais «au lieu de cela, elle a proposé de concevoir un bâtiment qui répondait au site riverain, puis a procédé à la refonte du paysage lui-même en formant une île entourée par la rivière Bouregreg et des piscines».
La réponse de Rabat à Sydney«Nous sommes partis de la topographie», explique Fischer, évoquant ainsi l'île et le bâtiment qui seraient un tremplin entre les deux villes antiques de Rabat et Salé, situées sur des rives opposées.
Les flux opposés de la rivière lors des marées «façonnent la forme du bâtiment» dont les courbes se «confondent avec le contour de l’île et des berges». Des formes envoutantes qui englobent en son sein un amphithéâtre en plein air pour 7000 personnes; un théâtre intérieur qui peut accueillir 1800 personnes et dont le design fait la part belle au travail des artisans de Marrakech.
Lire aussi : Vidéo. Visite guidée du chantier du Grand théâtre de Rabat
«Hadid a conçu la réponse du Maroc à l'Opéra de Sydney, et comme héritage de Mohammed VI, le Grand Théâtre occupe une place de choix près d'un plateau adjacent occupé par le mausolée qui abrite les deux derniers rois du Maroc», explique l’auteur de la publication.
Et d’évoquer le caractère personnel que revêtaient pour Zaha Hadid les édifices conçus dans le monde arabe, parmi lesquels le Grand Théâtre de Rabat. Autant de «trophées qui la ramenaient à ses racines», symbolisaient «un retour aux sources (qui) l'a remise en contact direct avec un monde qui lui manquait».
L’architecte au tempérament de feu et «au cœur immense» a été «touchée et gratifiée d’avoir la chance de renouer avec la culture de sa jeunesse, une culture dans laquelle son esprit résonnait».