Installer un musée au sein d’une nécropole, au Maroc, la chose est inédite. Mais à Meknès, associer la sphère culturelle à la sphère cultuelle est devenu une réalité avec l’ouverture de ce musée au sein du cimetière juif historique du mellah. La chose n’est pas anodine et constitue une invitation lancée au public à franchir les portes de la nécropole, nouvellement réhabilitée après dix ans de travaux dans le cadre de l’opération «les maisons de la vie», initiée en 2010 par le roi Mohammed VI.
En accueillant en son sein un musée, le cimetière - dont une partie des tombes est incrustée dans une muraille classée patrimoine historique - devient ainsi lui-même un site culturel, et donc touristique, accessible aux visiteurs de tous bords. En s’ouvrant au public, la nécropole et son musée permettent ainsi de mieux faire connaître la culture judéo-marocaine, ses spécificités, ses rites, ses codes. Et par cette ouverture, c’est l’esprit même du mellah historique, où juifs et musulmans vivaient en communauté, sans barrières ni différences, qui revit et reprend son sens.
La première exposition du musée donne d’ailleurs le ton. Très intimiste, comme une fenêtre ouverte sur la sphère privée des anciens habitants du mellah, elle propose un aperçu touchant du judaïsme de Meknès. Photographies qui ont traversé le temps, correspondances personnelles écrites à la main en judéo-marocain, contrats de mariage spécifiques à la ville de Meknès, documents officiels et enfin, clichés des souverains marocains en compagnie des grandes figures rabbiniques de la ville… Le judaïsme de Meknès s’expose ainsi dans ses spécificités, ses particularités et ses richesses grâce aux contributions de la communauté meknassie à travers le monde, prompte à partager dans ce musée ses souvenirs.
On ne peut ainsi que se réjouir que plusieurs musées dédiés au judaïsme ouvrent bientôt leurs portes dans plusieurs villes du Maroc, comme l’explique pour Le360 Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil de la communauté israélite du Maroc. Le musée du judaïsme marocain de Casablanca, premier et unique musée dédié au judaïsme dans le monde arabe, sera ainsi bientôt rejoint par d’autres musées à Tanger, à El Jadida, à Marrakech... «Un ensemble couronné par le musée de la culture juive marocaine de Fès, qui a été lancé, suivi et initié par Sa Majesté le Roi, il y a deux ans, et qui constituera le musée phare du judaïsme marocain», précise Serge Berdugo.
Cette culture judéo-marocaine, qui sera ainsi amenée à se dévoiler davantage dans des lieux culturels, a également fait l’objet d’un passionnant colloque le 19 mai à Meknès, au lendemain de la Hilloula des Tsadikim célébrée dans le cimetière juif historique du mellah. Au centre culturel Lamnouni, ils étaient ainsi plusieurs experts marocains à avoir tenté, chacun à sa manière, de dessiner les contours du judaïsme de Meknès afin de mieux en saisir les spécificités culturelles.
Yossef Toledano, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le judaïsme de Meknès, a ainsi apporté son précieux éclairage sur l’histoire de la communauté juive de Meknès à travers trois personnalités de la ville, à savoir le président Joseph S. Berdugo, Rabbi Barouckh Toledano et enfin Rabbi Yossef Messas.
Yolande Cohen, professeur d’histoire contemporaine à l’Université du Québec à Montréal a choisi, quant à elle, de faire la lumière sur l’histoire des deux mellahs de Meknès, et les mutations qui se sont opérées au sein de la communauté juive de la ville sous le protectorat français.
Maury Amar, auteur de plusieurs ouvrages sur la jurisprudence du rabbinat de Meknès et Fès, a abordé la question des takkanot (lois communautaires) des rabbins de Meknès, tandis que Mohammed Hatimi, professeur d’enseignement supérieur à l’université de Fès a souhaité rappeler, dans une présentation très attendue par le public, la fierté d’être juif meknassi.
Un colloque auquel a assisté un public venu nombreux des Etats-Unis, du Canada, de France, d’Israël pour renouer avec ses origines meknassies et très ému d’avoir été accueilli, dès son arrivée, en musique et en pas de danse par une troupe de Aïssaouas.