L’espoir ne meurt jamais

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Chronique«Sunnite? Chiite? Alaouite?…La vérité, j’ai enterré les dieux et les prophètes au moment où j’ai enterré ma famille, massacrée à Alep».

Le 23/10/2017 à 12h41

Dans son nouveau film, qui s’appelle «L’autre côté de l’espoir» et qui porte bien son titre, le Finlandais Aki Kaurismaki raconte l’histoire d’un réfugié syrien qui essaie de s’établir à Helsinki. On ne sait pas trop, à la fin du film, s’il va y arriver. Ce n’est pas le plus important. On voit, par contre, que ceux qui aident le réfugié ressemblent, comme deux gouttes d’eau, à ceux qui tentent de l’anéantir. La chaine de solidarité puise sa raison d’être dans la même racine que la chaine de «désolidarité».

L’autre côté de l’espoir, c’est donc cela: le désespoir, l’inhumain, le barbare. Ce sont les côtés pile et face de la même pièce. Après, c’est le hasard ou, comme on dit, les «circonstances», qui font que la bascule atterrit du bon ou du mauvais côté de l’être humain qui est en nous.

Ce petit film savoureux et plein d’humanité, et je vous conseille vivement, prend un parti-pris magnifique et complètement inattendu. Il dépeint l’Eldorado (l’Europe riche, démocratique, égalitaire, heureuse) comme un univers triste, sombre, où les Hommes sont vieux et cassés et ne sourient jamais. Tout le contraire des réfugiés syriens ou irakiens, qui vivotent clandestinement, misérablement, mais qui sont beaux et souriants malgré tout. Le contrepied est parfait.

A un moment, on demande au réfugié: «Etes-vous sunnite? Chiite? Alaouite?». Le réfugié répond: «Je suis sunnite, chiite, alaouite…La vérité, j’ai enterré les dieux et les prophètes au moment où j’ai enterré ma famille, massacrée à Alep». Et qui a massacré la petite famille, alors? «Les pro-gouvernement peut-être. Ou les rebelles. Ou les Russes. Ou les Américains. Ou le Hezbollah. Ou Daech».

Et voilà, les films et l’art en général, ça n’est rien qu’une question de détail(s). C’est comme avec les êtres humains. Vous pouvez aimer un homme ou une œuvre d’art pour une phrase, un trait de crayon ou de caractère.

Le film de Kaurismaki, qui est l’un des plus grands cinéastes encore en activité, va droit à l’essentiel. Il nous retourne dans tous les sens à force de nous questionner sur notre humanité, sur les petites choses qui peuvent relier un vieil entrepreneur finlandais qui pourrait être un candidat au suicide à un jeune mécanicien syrien qui est candidat, lui, à un nouveau départ dans la vie, une renaissance.

Au fond, au-delà de la guerre, au-delà des différences de peau, de religion, de culture, de niveau de vie, etc., ça n’est que deux solitudes et deux êtres humains en face l’un de l’autre. 

Sunnites? Chiites? Chrétiens? Athées? Blonds ou bruns? Européen ou réfugié ou apatride? Avec ou sans papiers? Oubliez tout cela parce que ça n’est que la surface des choses, grattez, épluchez, essayez de voir sous la peau. Ou passez votre chemin, si vous êtes pressé. Ou si ça ne vous dérange pas de mourir idiot…

Un film comme ça vous fait passer beaucoup plus de choses que des kilomètres de discours et de reportages sur la guerre en Syrie ou ailleurs. C’est proprement miraculeux. Tant mieux. Et ça pèse plus lourd que l’ensemble des films, toutes nationalités confondues, sortis au cours des derniers mois…

Surtout, surtout, ça vous oblige, la prochaine fois que vous croisez un demandeur d’asile ou un étranger qui mendie au détour d’un feu ou d’une rue, à Casablanca, Tunis, Vienne ou Paris, à réfléchir avant d’adopter l’une des deux seules attitudes possibles: éprouver de la compassion et tenter quelque chose pour venir en aide à cet inconnu, ou monter la vitre de votre voiture et filer à toute vitesse. En pensant, bien sûr, que vous n’êtes pas concerné.

Le prochain automobiliste qui passe aura, peut-être, plus d’humanité que vous.

Par Karim Boukhari
Le 23/10/2017 à 12h41