Inédite. C’est le moins qu’on puisse dire de cette découverte paléontologique. Une équipe internationale composée de chercheurs marocains de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et britanniques du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres vient en effet d’annoncer l’exhumation d’un fragment de fémur appartenant au plus ancien cérapode connu au monde.
Le spécimen a été mis au jour dans la formation El Mers III, située dans le Moyen Atlas, nous explique Driss Ouarhache, enseignant-chercheur à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. «Il s’agit, plus précisément d’une tête de fémur (os de la cuisse, NDLR) d’un cérapode ornithischien (des dinosaures herbivores, NDLR) retrouvée dans des dépôts continentaux du Jurassique moyen de la région de Boulemane», affirme-t-il.
Un fragment de fémur appartenant au plus ancien cérapode, une branche éteinte de dinosaure, connu à ce jour.
Daté du Jurassique moyen (Bathonien, environ 168-166 millions d’années), ce fossile redéfinit nos connaissances sur les premiers stades de l’évolution des dinosaures ornithischiens, jusqu’à présent essentiellement documentés à partir du Crétacé, explique le chercheur.
«La répartition géographique des cérapodes ornithischiens à l’échelle globale a débuté au Crétacé (la dernière période de l’ère Mésozoïque, s’étendant d’environ 145 à 66 millions d’années (Ma) avant notre ère, NDLR), alors que le spécimen découvert dans la localité de Boulahfa remonte au Bathonien (168-166 Ma) ce qui en fait le plus ancien cérapode au monde. Ce résultat permet d’élucider les premiers stades de l’évolution des cérapodes et leur phylogénie. Ce spécimen est le second de son genre à être découvert jusqu’à présent, après la découverte d’un fémur isolé du Callovien (166-163,5 Ma) du Royaume-Uni», détaille-t-il.
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Cette découverte représente, selon Ahmed Oussou, membre de l’équipe des chercheurs, «une avancée majeure dans la compréhension des dinosaures du Jurassique moyen, en particulier en Afrique du Nord, une région encore sous-explorée en paléontologie».
Revenant sur les circonstances de cette trouvaille, ce docteur en géologie à l’université de Fès rappelle que «ce fossile a été découvert lors d’une expédition de terrain en 2022. C’était lors d’une fouille ciblée, dans le cadre d’un projet d’exploration paléontologique entamée 4 ans plus tôt par l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah et le Museum d’Histoire Naturelle de Londres visant à mieux comprendre la biodiversité des dinosaures du Jurassique moyen en Afrique du Nord».
L’état de conservation du fossile était relativement bon, malgré son caractère fragmentaire. «Il s’agit de la portion proximale d’un fémur gauche, comprenant la tête fémorale (l’extrémité supérieure arrondie du fémur, l’os de la cuisse, NDLR), le grand trochanter (protubérance osseuse située à l’extrémité supérieure du fémur, NDLR) et la partie supérieure de la diaphyse (la partie centrale ou le corps d’un os long, NDLR). Le fragment de fémur présentait des caractéristiques morphologiques distinctives, notamment une tête fémorale bien définie, un col distinct entre la tête et le trochanter, ainsi qu’une fossette trochantérienne marquée. Ces traits permettent d’assigner ce fossile au clade des cérapodes», note Ahmed Oussou.
Un site riche en découvertes paléontologiques
Le site de la Formation El Mers III est connu pour ses découvertes majeures. En plus de ce cérapode, d’autres dinosaures y ont été identifiés, comme Spicomellus afer, un nouveau genre et une nouvelle espèce d’Ankylosaures, le plus ancien connu et le premier à être décrit en Afrique, ou encore Adratiklit boulahfa, nouveau genre et nouvelle espèce de stégosaure qui est le plus ancien au monde.
Selon Driss Ouarhache, il s’agit d’un site qui se caractérise «par des vestiges de certaines espèces de dinosauriens des plus anciennes en Afrique, voire au monde, ce qui permet de réviser leur répartition stratigraphique et contribuer à la compréhension de leur phylogénie».
«Pour mieux comprendre le paléoenvironnement de la région au Bathonien, des études complémentaires ont été entamées parallèlement aux fouilles, à savoir, une étude sédimentologique et une étude micropaléontologique (Charophytes et Ostracodes). Ces études ont montré que les sédiments ayant livré les restes d’ossements de dinosaures se sont déposés dans un système fluvio-lacustre qui s’est installé après la régression marine au Bajocien supérieur –Bathonien inférieur qui a débuté», poursuit notre interlocuteur.
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Si la région de Boulemane recèle un patrimoine paléontologique important, elle est aussi victime de fouilles clandestines. «Ces fouilles détruisent le patrimoine paléontologique de la zone. Et ce, malgré les grands efforts déployés par les autorités locales et le personnel de la Direction de la géologie du ministère de la Transition énergétique pour empêcher ce genre de pratiques», alerte Driss Ouarhache.
«Nous essayons aussi à notre niveau de sensibiliser la population sur place au rôle important que peut jouer le patrimoine géologique dans le développement local. Nous organisons des journées d’étude et travaillons sur le développement du géotourisme, en proposant des circuits passant par les sites paléontologiques de la région. L’objectif est d’aider la population locale à tirer profit de ce patrimoine scientifique, en créant des opportunités économiques à travers le tourisme éducatif et écologique. Nous espérons encourager un tourisme responsable qui bénéficie directement aux habitants», précise-t-il.
Cette découverte n’est donc que le début d’une exploration scientifique plus vaste. «Les prochains travaux prévus incluent la poursuite des fouilles dans le groupe d’El Mers pour découvrir d’autres spécimens plus complets, des analyses isotopiques pour mieux comprendre l’environnement de vie de ces dinosaures et des comparaisons avec d’autres fossiles découverts en Afrique et ailleurs», promet Ahmed Oussou.
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