"J’ai vécu imprudemment" déclarait Hafid Bouazza dans une interview…Parti trop tôt, il s’est éteint ce jeudi matin, 29 avril 2021, à l’âge de 51 ans dans un hôpital d’Amsterdam, cette ville qu’il aimait tant.
"C’était un gentil garçon, qui ne vivait que pour l'art et la littérature. On a eu quelques bonnes discussions au café Zwart, rendez-vous des écrivains" se souvient l’écrivain Fouad Laroui, qui partage avec lui quelques points communs, dont une naissance à Oujda, une vie aux Pays-Bas et des consécrations littéraires, notamment le prix E. du Perron.
Né en 1970 au Maroc, à Oujda, Hafid Bouazza grandit aux Pays-Bas et se passionne, très jeune, pour la littérature médiévale. Son amour pour la poésie et la littérature ancienne le mèneront tout naturellement à l’étude de la langue et de la littérature arabes, "ce qui lui a permis de traduire les classiques de la poésie arabe en néerlandais" explique à ce sujet Fouad Laroui, dévoilant que "cela dit, il a dû abandonner un livre sur les animaux dans la littérature arabe quand il s'est rendu compte qu'il n'y avait pas de lexique unifié dans ce domaine".
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Traducteur de plusieurs anthologies, il était surtout un écrivain virtuose qui a remporté en 1996, à ses débuts, le prix E. du Perron pour son recueil de nouvelles Les pieds d’Abdullah, dans lequel il évoque ses souvenirs d’enfance au Maroc.
En 2003, il conquiert le cœur du grand public et de la critique avec un premier roman, Paravion, dans lequel prennent vie sous sa plume trois générations d’hommes dans un village marocain, et qui lui vaudra de décrocher une nomination pour le prix de littérature AKO. Un roman que Fouad Laroui affectionne particulièrement, pour la façon dont "il arrive à transfigurer le Maroc de son enfance pour en faire un monde enchanté".
Avec le style acéré, le vocabulaire riche, souvent qualifié d’expérimental, qui lui sont propres, Hafid Bouazza s’essaie, avec une aisance déconcertante, à tous les genres littéraires, de la nouvelle, au roman, en passant par le théâtre, les traductions et même un livret d’opéra. Il écrit également de nombreux essais, ainsi que des articles d’opinion pour s’attaquer à l’islam politique et fanatique, à la misogynie qui en découle, sans pour autant laisser son discours être récupéré et instrumentalisé par la droite ou l’extrême-droite.
Ecrivain de génie, souvent interviewé sur la question de la migration, Hafid Bouazza refusait d’être placé parmi les "écrivains migrants" car pour lui ce n’était pas une catégorie littéraire. Un rejet total de toute forme de ghettoïsation littéraire qui se manifestait par sa volonté d’être considéré comme un écrivain néerlandais et non pas un écrivain marocain ou maroco-néerlandais.
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C’était son droit, c’était son choix, le plus assumé, car après tout cette culture, il en maîtrisait à la perfection la langue. "Il est arrivé à l'âge de sept ans aux Pays-Bas, ce qui ne l'a pas empêché d’acquérir une maîtrise phénoménale de la langue néerlandaise. Je pense qu'il la connaissait et la pratiquait mieux que 99% des Néerlandais eux-mêmes. C’était un plaisir de l'entendre discourir dans cette langue qu'il n'avait jamais parlée, ni entendue dans sa petite enfance", explique Fouad Laroui, rappelant que néanmoins, Hafid Bouazza "se tournait souvent vers le Maroc quand il cherchait l'inspiration".
Hafid Bouazza était aussi une âme torturée qui a brûlé la chandelle par les deux bouts, en s'enfonçant dans les limbes de l'alcool et de la toxicomanie. "Il souffrait d'insuffisance hépatique. Il a lui-même souvent évoqué sa dépendance à l'alcool, surtout l'absinthe. On a parfois parlé, en sa présence, du lent suicide par l'alcool de quelqu'un qui était souvent mélancolique. Il ne contredisait pas cette caractérisation", explique Fouad Laroui.
"C'est une grande perte pour la littérature. Je crois qu'avec l’âge, il se serait peut-être réconcilié avec sa part marocaine. Il est parti trop tôt, bien trop tôt" souffle avec émotion Fouad Laroui.