Un très beau livre de poésie d’Aya Cheddadi

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Aujourd’hui paraît «Tunis marine » (Gallimard), livre posthume d’Aya Cheddadi. C’est un recueil de poésie, ultime message d’une très jeune femme qui avait tant lutté contre la maladie. Elle est décédée à 37 ans, le 6 janvier 2015 à Paris, laissant des poèmes et un roman inachevé.

Le 16/03/2016 à 18h07

La lecture de ces textes est particulière. Quand on lit un poète qui a encore des choses à donner, on a une attitude qui va de l’admiration à la critique. Là, seule l’admiration est possible. Curieusement ce ne sont pas des textes d’un être rongé par la maladie et la mort, ce sont des textes de vie, lumineux, solaires, pleins d’espoir et de tendresse pour une vie qui lentement se dérobe, se retirant sur la pointe des pieds comme si elle s’excusait de ne pas tenir tête au mal qui froisse les jours et les nuits de la poésie.

De père marocain et de mère japonaise, Aya était mariée à un Tunisien. Ce mélange a forgé en elle une vision optimiste de la vie. Optimiste c’est-à-dire ouverte et exigeante. Il se trouve qu’elle a été professeur de français à la Marsa, en Tunisie au moment où ce pays entamait sa révolution. Elle observe une révolution avec pudeur, compare Mohammed Bouazizi à « une étincelle/ dans la nuit tunisienne / flamme humaine / divine parcelle / du chant universel ».

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Sa nuit saturée de jasmin, elle la donne au silence et à la douceur dont elle se souvient. Elle évoque la ville de Sfax et son usine désaffectée et trouve de la beauté dans cette terre ocre et ingrate. Poésie de la générosité qui ne se déclare pas. Elle avance son regard qui avale tout ce qui arrive. Elle sait que le temps n’est plus son complice, qu’il ne lui appartient plus, qu’il file plus vite que d’habitude, l’abandonne malgré la beauté du monde. Tant de douleur est sublimée par le regard tendre et beau qu’elle pose sur les choses et les objets quotidiens. Pas même de colère, juste un feuillage sombre, des griffures dans le ciel et surtout l’absence soudaine des étoiles.

Comme elle a décidé d’écrire pour tromper la maladie, elle a pris la peine «d’ouvrir les vannes de l’énergie». Elle évoque la magie et la colombe qui sort de la manche du magicien. C’est une façon de voir les choses pour ne pas souligner leur cruauté.

Elle se tient au bord de l’abîme, et nous savons que c’est l’obscur présage qui rode autour d’elle. Vivant sur la brèche des jours, elle s’imagine dans la peau d’une autre fille qu’un père essaie de consoler: «La maladie ce n’est rien la maladie / elle n’existe pas / Est-ce que tu oublies Dieu ? / Dis : « Rabbi », dis : « Allah » / ne pleure pas /…»

Etoile filante, elle fait tout pour ne pas perdre le fil de la vie, le fil du silence, le fil de l’absence, celle qui se ferme comme des bras qui enlacent une passagère du temps en un pays où la rue hurle justice et dignité.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 16/03/2016 à 18h07