"Mutadis Mutandis", cette locution latine veut dire "ce qui devait être changé ayant été changé". Cultivé qu’il est, Adil Douiri n’a pas choisi le nom de sa société au hasard. Après avoir réussi dans les finances, il voulait changer l’entreprise en y appliquant ses recettes. Il n’aura réussi qu’à créer un groupe dont la rentabilité est aujourd’hui difficile à établir. Dans une longue enquête d’une dizaine de pages, riche en information, bien documentée et rudement menée, le mensuel Economie-Entreprises revient sur la genèse de la holding, ses réalisations depuis 2009, mais surtout l’échec du modèle Mutandis.
Capacité à lever des fondsSelon le mensuel, l’introduction en bourse que la rumeur annonce pour 2015, ne serait qu’une fuite en avant, en réaction à la pression d’actionnaires exigeants. Après tout, Adil Douiri prévoyait bien une sortie pour les actionnaires après quelques années seulement. Avec le temps, ces derniers s’impatientent et beaucoup n’en peuvent plus de ne recevoir que de très faibles sommes en rémunération de leurs investissements.Parce que, faut-il le rappeler, Mutandis, la holding d’Adil Diouri ne lui appartient qu’à 11,6%, d’après Economie-Entreprises. Pour monter ce groupe qui, au 30 juin 2014, a consolidé 17 sociétés dont plusieurs constituées de holding de participations, il a fallu convaincre ici et là plusieurs riches hommes d’affaires. Certains ont préféré prendre la sortie, tant qu’il est temps de le faire. Parmi les actionnaires de Mutandis, il y a notamment Othman Benjelloun à travers BMCE Bank et RMA Watanya pour 19,2% du capital, selon la dernière mise à jour du dossier d’information de son emprunt obligataire. Manuel Jové Capellan, celui à qui la station Saïdia avait été attribuée du temps où Douiri était ministre du Tourisme, détenait encore 8,8% en fin 2013. La famille Bensalah a également été convaincue à entrer dans le capital à hauteur de 4,9%. Moulay Hafid Elalamy du groupe Saham, Mohamed Alami Lazrak d’Alliances sont également présents parmi les actionnaires, de même que Zouheir Bennani de Label Vie-Best financière.
Un rendement moitié moins que celui des bons du trésorIls ont tous déboursé des sommes importantes allant de 50 millions de dirhams à plus de 200 millions. En plus de cela divers petits porteurs qui possèdent plus de 23% de Mutandis, toujours d’après le même dossier d’information daté de mars 2014, ont également donné pas moins de 250 millions de dirhams. Au total, depuis 2013, le capital de Mutandis est de 1,218 milliard de dirhams que se répartissent les divers actionnaires. Dans ce capital, il y avait l’ancien Premier ministre Driss Jettou et actuel président de la Cour des comptes, qui avait investi 100 millions de dirhams. Mais Jettou est un financier averti. Ceux qui le connaissent savent qu’il gère ses affaires à la manière d’un "bon épicier", c’est-à-dire en veillant à ce que les flux de trésorerie soient positifs. Il a donc décidé de retirer ses billes quand il n’a rien vu venir des promesses qui lui avaient été faites. En effet, Mutandis ne distribue pas plus de 1,75 dirham de dividende par action, sur les trois dernières années. Ce qui correspond à un rendement de moins de 1,75%. Autant investir dans des bons du Trésor de l’Etat marocain qui ont le double avantage de ne présenter aucun risque et de rapporter au bas mot 3,5%, soit deux fois plus que ce produit Mutandis.
Bonnes intentions, mais une réalité bien dureAu-delà des considérations purement financières, l’enquête d’Economie-Entreprises pointe les failles de Mutandis. Selon un expert qu’ils font intervenir, l’ancien ministre du Tourisme et co-fondateur de CFG Group, a autant les capacités à convaincre pour lever des fonds qu’il a de compétences en gestion financière. Mais que connait-il donc dans l’industrie, la distribution, l’artisanat, les détergents, les conserves de poisson ou la production de bouteilles? Ni lui, ni les jeunes cadres qu’il a cooptés essentiellement dans les banques d’affaires n’ont de l’expérience dans ces domaines, affirme en substance le mensuel. Il voulait "donner plus de turbo aux entreprises acquises", disait-il dans l’Economiste en 2008. Ou bien "muscler les producteurs marocains afin de faire face à la concurrence étrangères", comme il l’affirmait dans la Vie Eco, pratiquement à la même période. Mais c’était le temps d’avant, celui des déclarations de bonnes intentions. La réalité est beaucoup plus dure.
Fenyadi : n’est pas mou’allem qui veutSur les 9 filiales très peu sont suffisamment rentables. Fenyadi, qui se voulait être un producteur de meubles inspirés de l’artisanat marocain, est désormais sorti du périmètre de consolidation, d’après les comptes de la société au 30 juin 2014. C’est très révélateur, c’est la seule société qui a été pensée par Adil Douiri qui a justement occupé le poste de ministre du Tourisme et de l’Artisanat. Sans doute, côtoyant les pauvres artisans, il voulait leur apprendre à mieux faire. Mal lui a pris ! Car n’est pas "mou’allem" qui veut.La question qui se pose est de savoir, comment Mutandis pourrait encore convaincre des actionnaires lors d’une introduction en bourse. Lors de sa dernière tentative pour lever 500 millions de dirhams par le biais d’un emprunt obligataire, il n’a réussi finalement qu’à avoir 150 petits millions, d’après Economie-Entreprise qui cite le CDVM.