La légalisation encadrée de la culture du cannabis au Maroc n’est pas seulement un tournant juridique. Elle marque aussi le début d’une transformation économique et sociale profonde, en particulier dans le Rif.
Ce changement, longtemps attendu, s’appuie sur une volonté politique assumée et sur un dispositif réglementaire conçu pour concilier développement territorial, justice sociale et compétitivité économique, résume le magazine Challenge dans une analyse dédiée.
Pendant des décennies, l’économie de régions comme Chefchaouen, Al Hoceima et Taounate reposait sur un triptyque fragile: immigration, contrebande et culture illicite de cannabis. La légalisation partielle et strictement encadrée a permis de substituer une activité légale, traçable et à forte valeur ajoutée à une économie grise génératrice de précarité et de tensions sociales.
En 2024, la production licite dans ces trois provinces a atteint 4.083 tonnes, générant des revenus moyens compris entre 100.000 et 120.000 dirhams par hectare.
Le changement de statut du cannabis a d’abord bénéficié aux petits agriculteurs, souligne Challenge. L’adhésion aux coopératives leur offre un accès sécurisé au marché, une meilleure rémunération et une reconnaissance institutionnelle.
En 2024, l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (Anrac) a délivré 3.371 autorisations sur 4.158 demandes, impliquant 2.907 agriculteurs et 189 coopératives. Plus de 2.169 hectares ont été cultivés sous contrôle, dont 1.701 hectares avec la variété locale Beldia, réputée résistante à la sécheresse.
Ce dispositif crée un tissu économique structuré: cultivateurs, transformateurs, distributeurs, exportateurs, transporteurs et commerçants. La filière génère déjà des emplois directs et indirects, tout en réduisant les risques de corruption et les poursuites judiciaires contre les cultivateurs, lit-on. La grâce royale de l’été 2024, accordée à 4.831 personnes condamnées ou poursuivies pour culture illicite, a été un moment clé. Elle a permis de restaurer la confiance et d’ouvrir la voie à une relation basée sur le respect de la loi. Les bénéfices sociaux sont tangibles: sécurisation des revenus, sentiment d’inclusion et amélioration des conditions de vie.
La filière du cannabis licite ne se limite pas à l’usage médical ou pharmaceutique. Le potentiel industriel est considérable: textiles, matériaux de construction, isolants, produits alimentaires ou cosmétiques… Avec l’appui de l’UM6P, de l’Institut national de la recherche agronomique ou de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, le Maroc pourrait développer une expertise scientifique et technologique exportable, écrit Challenge.
La qualité reconnue de la variété Beldia ouvre également de fortes perspectives à l’export, dans un marché mondial en pleine expansion. L’expérience marocaine démontre qu’un changement de paradigme, même sur un sujet historiquement tabou, peut devenir un levier de développement équilibré. En structurant la filière autour d’une gouvernance participative, en garantissant transparence et traçabilité, et en intégrant les cultivateurs comme acteurs à part entière, l’État pose les bases d’une économie verte, légale et socialement bénéfique.
La légalisation du cannabis à usage licite apparaît ainsi comme un exemple de reconversion réussie, permettant de sortir de l’illégalité, de créer de la valeur, de restaurer la confiance et d’inscrire une région longtemps marginalisée dans la dynamique économique nationale et internationale.






