Le Conseil de la concurrence a récemment dévoilé son avis sur le marché du livre scolaire au Maroc. Dans ce document de 75 pages, le Conseil analyse le cadre légal et réglementaire régissant le secteur, son fonctionnement, les acteurs et intervenants y opérant, l’offre et la demande sur le marché, le niveau de concentration ainsi que les prix pratiqués.
Quatre groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du marché
Parmi les principales conclusions de cet avis: la forte concentration du marché du livre scolaire, malgré la multiplicité apparente des maisons d’édition, avec une forte concentration géographique au niveau de Casablanca, et subsidiairement au niveau de Rabat. En effet, les 4 premiers groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du marché, et si on y intègre le 5ème, la part monte à 63%.
Lire aussi : Le Conseil de la concurrence a infligé 72 millions de dirhams d’amendes en 2022
L’institution présidée par Ahmed Rahhou fait également ressortir une «contre-productivité» du modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire, qui repose sur une offre et une demande artificiellement soutenues par des fonds publics et semi-publics.
Pour le Conseil, le marché du livre scolaire est entièrement verrouillé en amont, donnant lieu à la création de véritables positions de rente acquises par les mêmes éditeurs sélectionnés depuis une vingtaine d’années, et dont les parts de marché sont restées quasiment inchangées durant cette période.
Une dépendance aux subventions publiques
Pour le Conseil de la concurrence, l’ouverture partielle du marché en amont du livre scolaire a transformé, dans les faits, le livre scolaire d’un outil pédagogique en un produit essentiellement commercial, constituant la première source de revenus des éditeurs et des libraires. Ainsi, sur un marché de l’édition estimé à 800 millions de dirhams, plus de la moitié provient du livre scolaire.
La forte dépendance des maisons d’édition au livre scolaire s’est accentuée récemment du côté de l’offre avec l’octroi de subventions étatiques, à hauteur de 101 millions de dirhams‚ en vue de réduire la hausse des prix de vente publics des manuels à seulement 25%. Une mesure répondant aux demandes d’augmentation des prix formulées par les éditeurs suite à la hausse des coûts de leurs intrants, notamment le papier, dont le prix a connu une hausse de 103%.
Lire aussi : Rentrée scolaire: les parents d’élèves face à l’indisponibilité de certains manuels et la hausse des prix
Cette forte dépendance se situe également du côté de la demande du livre scolaire, largement supportée par des fonds publics et semi-publics mobilisés dans le cadre de l’opération «Un million de cartables» de l’INDH. Sur un budget total de 550,5 millions de dirhams au titre de l’année scolaire 2022-2023, 370 millions de dirhams ont été consacrés à l’acquisition du livre scolaire.
Un développement quantitatif au détriment de la qualité
L’avis du Conseil relève également que le développement quantitatif du marché du livre scolaire s’est effectué au détriment de la qualité, au niveau de la forme et du contenu, le réduisant à un produit commercial où les considérations du coût de production l’emportent sur la qualité. Ainsi, la moyenne des droits d’auteur rétribuant la production intellectuelle de ces ouvrages ne dépasse pas les 8% de leur prix.
Les prix des livres scolaires, fixés par l’État, n’ont pas été révisés depuis la période 2002-2008. Et, dans la majorité des cas, la procédure légale et réglementaire de fixation de leurs prix n’a pas été respectée. En effet, seuls les prix de 9 livres sur un total de 381 ont été fixés, suite à l’avis favorable de la commission interministérielle des prix, et publiés au Bulletin officiel. Les prix des 372 livres scolaires restants ont été directement fixés par le ministère de l’Éducation nationale suite à des appels d’offres, et sans passer par ladite commission.
Lire aussi : Le Conseil de la concurrence décortique les sources endogènes et exogènes de l’inflation
Aussi, les prix des livres scolaires ont été artificiellement maintenus à des niveaux bas, au détriment de leur qualité, comme en témoigne l’usage de papiers de mauvaise facture et au grammage réduit, la surcharge des pages et le recours à des illustrations en deçà des standards. De fait, les livres scolaires sont devenus «peu attractifs, voire répulsifs pour les élèves, ce qui les prive des apprentissages fondamentaux que ces livres sont censés leur apporter».
Un «énorme gaspillage»
Autre problématique pointée par le Conseil de la concurrence: un énorme gaspillage de ressources, de matières et d’énergie pour le pays. «Une production du livre scolaire massifiée, oscillant entre 25 et 30 millions d’exemplaires de manuels “jetables” programmés et conçus à être utilisés une seule fois, soit une “consommation” de 3 à 4 livres en moyenne par élève et par an», souligne le texte de l’avis.
Cette production est dominée par le manuel papier imprimé, qui occupe une place primordiale dans le processus d’apprentissage au sein de l’école publique marocaine. Il a encore la particularité d’être un manuel unique sans outils auxiliaires numériques (CD, clés USB, etc.).
En effet, aucun manuel scolaire sur le marché n’est doté d’un support numérique complémentaire, contrairement à d’autres pays où le manuel imprimé est souvent accompagné d’un ensemble de contenus numériques, regrette le Conseil.