La vente d’un terrain menace d’envenimer les relations entre le Maroc et l’Arabie saoudite. "L’irrespect" dont font l’objet des émirs de la famille régnante en Arabie saoudite serait à l’origine de ce qui pourrait se muer en crise entre le Maroc et l’un de ses alliés les plus proches. Cette histoire commence avec le décès, le 22 octobre 2011, du prince Sultane Ben Abdelaziz Al Saoud. Connu pour son amour et son attachement au royaume, ce prince y avait acquis de nombreux terrains et construit des demeures où il séjournait plusieurs fois par an. Il y disposait de palais et de résidences, notamment à Casablanca, Agadir et Errachidia. Après la disparition du prince Sultane Ben Abdelaziz Al Saoud, ses héritiers, qui n’ont pas le même attachement pour le Maroc, décident de vendre les biens de leur père. A ce sujet, le palais d’Agadir, ainsi que celui d’Errachidia, sont cédés à l’émir du Qatar, et le palais de Casablanca à Mohamed Alami Lazraq, PDG du groupe Alliances, qui projette d’en faire un lotissement et d’y construire un hôtel.
Sefrioui remporte le gros lot, mais...
Il restait un terrain de 93 hectares à proximité d’Agadir, exactement à Aït Melloul, préfecture d’Inzgane. Ce terrain attisait la convoitise de tous les promoteurs immobiliers du pays qui se sont âprement disputés pour l’acquérir. Finalement, c’est Anas Sefrioui, PDG de Douja promotion groupe Addoha, qui remporte le gros lot grâce à la meilleure offre : 300 millions de DH. Un compromis de vente est ainsi signé le 1er mai 2013 entre le patron d’Addoha et Abdallah Ben Machbbab Achahri, qui n’était autre que le directeur de cabinet de feu le prince Sultane Ben Abdelaziz Al Saoud et qui est le représentant de son fils, le prince Khaled Ben Sultane Ben Abdelaziz. "Anas Sefrioui a signé ce compromis de vente avec la promesse de conclure la vente et de tout régler dans un délai maximum de deux mois", confie à Le360 une source proche du dossier. "Or, après la signature du compromis de vente, Sefrioui disparaît de la circulation, ne donne plus aucun signe de vie et devient impossible à joindre", ajoute notre source. "Au mois de juillet, Sefrioui est toujours irrattrapable!"
Après plusieurs semaines de dépassement du délai convenu entre Sefrioui et le représentant du prince saoudien, ce dernier décide d'abandonner le compromis de vente et reprend contact avec les autres promoteurs qui avaient montré initialement de l’intérêt pour le terrain. "C’est à ce moment-là que Anas Sefrioui réapparaît et intente une action en justice contre le représentant du prince saoudien". En fait, deux plaintes sont déposées par Anas Sefrioui auprès du tribunal de première instance d’Inzgane. La première vise effectivement nommément Abdallah Ben Machbbab Achahri. Le dossier de la plainte, ayant pour objet des indemnités financières, est enregistré sous le numéro de 799/2013. La deuxième plainte, déposée également au tribunal de première instance d’Inzgane, sous le dossier numéro 370/2013, vise à conclure la vente. Les audiences de l’une et l’autre de ces deux plaintes étaient prévues respectivement le 14 janvier et le 15 janvier 2014. Sefrioui entame dans la foulée au même tribunal un troisième procès relatif à la prénotaion du terrain. Le président du tribunal de première instance d’Inzgane oppose une fin de non-recevoir à cette plainte. Anas Sefrioui recourt alors à la Cour d’appel d’Agadir (dossier n° 2842/2013).
Au moment d’entamer les négociations avec de nouveaux acquéreurs, le représentant du prince saoudien découvre le pot aux roses : Sefrioui avait inscrit une prénotation sur le titre foncier du terrain. Les vendeurs ne peuvent donc plus réaliser aucune opération sur leur terrain quelle qu'elle soit sa nature : vente, morcellement, division, lotissement, etc. sans lever la prénotation. Cette prénotation a été en effet inscrite sur le titre du terrain, le 19 novembre 2013
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par la conservation foncière d’Inzgane suite à une demande de Anas Sefrioui accompagnée de la plainte déposée auprès du tribunal de première instance d’Inzgane, en vue de conclure la vente. "Notez ici la manœuvre de Sefrioui : il a adressé au conservateur d’Inzgane une demande de prénotation sur la base de la plainte visant à conclure la vente et non pas sur la base de la plainte relative à la prénotation qui a été refusée par le président du tribunal", commente notre source. Est-ce donc si facile de prénoter un bien qui appartient à une tierce personne au motif d’un quelconque litige ? "Quand on connaît bien les rouages, rien n’est plus facile que de bloquer la cession d’un terrain sur la base d’un compromis de vente. Il suffit de poursuivre en justice le vendeur pour que l’action judiciaire entraîne la prénotation à la conservation foncière jusqu’à ce que la justice s’exprime sur le litige. Ce qui peut prendre de longues années", confie à Le360 un expert qui ajoute que l’agence nationale de la conservation foncière a institué en 2012 un texte de loi qui préconise des sanctions et des amendes contre "toute personne qui inscrit des prénotations abusives". "Ces sanctions s’élèvent à au moins 10% de la valeur du bien prénoté au profit de l’Agence nationale de la conservation foncière".
Le piège
Le vendeur consulte ses avocats qui lui confirment qu'il s'est fait piéger et qu’il n’a que deux options. La première consiste à entamer une procédure en justice contre le patron d’Addoha, ce qui nécessitera des années d’attente sans aucune garantie de résultat. La seconde option consiste à convaincre Sefrioui de lever lui-même la prénotation. "Se sentant en situation de force, Sefrioui dicte ses règles et exige du représentant du prince saoudien un rabais de 100 millions de DH pour conclure la vente !", s’exclame notre source. Interrogé par Le360, Saad Sefrioui, DG du Groupe Addoha, n’a pas commenté la demande de rabais du prix de vente. Il a en revanche expliqué qu’"il n’y a aucun problème par rapport à ce terrain. Nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur le prix avec ce partenaire". Et d’ajouter : "Les deux partenaires ont des projets au Maroc et à l’étranger qu’ils vont bientôt annoncer". Difficile de croire qu’il n’y a pas de problème sur ce terrain quand on compte ne serait-ce que le nombre de procès intentés par Anas Sefrioui contre le représentant du prince saoudien.Se sentant "piégé", le représentant du prince saoudien se tourne vers son ambassade pour l’aider à desserrer l’étau qui s’est refermé autour de lui. "Conseillé par son ambassade et des connaissances marocaines, Abdallah Ben Machbbab Achahri décide de recourir au cabinet royal pour lui rendre justice". Sefrioui est mis au courant de l’action du représentant du vendeur en direction du palais royal. "Craignant alors de voir la situation se retourner contre lui, Sefrioui se résout à abandonner toutes les poursuites en justice et à lever la prénotation de peur d’une colère royale", ajoute notre source. Une attestation de résiliation du compromis de vente et d’abandon de toute poursuite judiciaire est alors signée entre Anas Sefrioui et Abdallah Ben Machbbab Achahri
- resiliation_du_compromis_de_vente_et_abandon_des_poursuites_judiciaires.pdf
Le représentant du prince saoudien reprend la pleine jouissance de son bien et conclut un acte de vente définitif avec Alami Lazraq, patron d’Alliances, selon une source autorisée à Agadir. Contacté par Le360, Alami Lazraq n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet en dépit de plusieurs relances.Nouveau coup de théâtre
Car le représentant du prince saoudien n’est pas au bout de ses surprises. Après avoir récupéré le titre du terrain avec la main levée sur la prénotation et conclu un acte de vente définitive avec le patron d’Alliances, Abdallah Ben Machbbab Achahri se voit opposer par la conservation foncière d’Inzgane le droit d’enregistrer l’opération. Selon notre source, "Anas Sefrioui a fait intervenir un puissant homme politique dans un parti de l’opposition, connu pour donner des ordres à l’administration marocaine, qui a sommé la conservation foncière et le ministère des Finances de bloquer l’enregistrement". Le représentant du prince saoudien en informe son ambassade qui "réagit mal à cette intervention d’un homme politique dans une opération impliquant un prince de la famille régnante". Et c’est ainsi que ce n’était au début qu’une transaction immobilière est en train de muer en menace de crise entre les deux royaumes.