Changer une habitude profondément ancrée dans la culture économique d’un pays n’est jamais chose aisée. Pourtant, le gouvernement semble décidé à s’y attaquer, avec une mesure aussi technique que symbolique. «Dans le projet de loi de finances 2026, l’État propose d’ajouter deux points supplémentaires au droit d’enregistrement lorsqu’une vente immobilière ou la cession d’un fonds de commerce est réalisée sans trace bancaire. En d’autres termes, payer en liquide pourrait bientôt coûter plus cher», écrit le quotidien L’Économiste.
Derrière cette apparente modification fiscale se cache une volonté plus large: réduire la place du cash dans les transactions et renforcer la transparence financière. L’immobilier et les fonds de commerce sont parmi les secteurs les plus concernés. Ces opérations, souvent importantes, échappent encore trop souvent à la traçabilité, laissant la porte ouverte à la fraude, aux sous-déclarations et à certaines pratiques informelles. En imposant un surcoût de 2% aux transactions non bancarisées, l’État veut encourager les acteurs à passer par le circuit officiel.
Selon Bank Al-Maghrib, la masse de liquidités en circulation atteignait 458 milliards de dirhams à fin juillet. Ce volume colossal alimente non seulement la consommation mais aussi des zones grises de l’économie où prospèrent fraude fiscale et corruption. La mesure prévue dans la loi de finances cherche donc à frapper là où cela fait mal : dans la poche. Les notaires, désormais au cœur du dispositif, devront mentionner le mode de paiement et joindre un justificatif bancaire à l’acte. Si le règlement échappe à leur contrôle ou n’est pas clairement documenté, le droit d’enregistrement sera majoré.
Concrètement, explique L’Économiste, «les mutations à titre onéreux (ventes d’immeubles ou cessions de fonds de commerce) sont aujourd’hui soumises à un droit d’enregistrement de 4 à 6%, selon la nature du bien». Jusqu’ici, rien n’empêchait les parties de solder tout ou partie du prix en espèces, ni même de minorer les montants déclarés. Cette faille, bien connue, permettait de contourner l’impôt et d’alimenter des pratiques opaques. Le gouvernement entend désormais y mettre un terme.
«Payer en liquide reviendra donc à accepter une pénalité financière», résume L’Économiste. La transparence devient la norme, l’opacité se paiera. Le message s’adresse autant aux vendeurs qu’aux acheteurs, mais aussi à tout un écosystème (notaires, intermédiaires, agents immobiliers) souvent confronté à la tentation du cash facile. L’État espère que cette pression fiscale aura un effet dissuasif, accélérant la transition vers une économie plus bancarisée et mieux contrôlée.
Le texte, toutefois, prend soin de préciser que le paiement du droit supplémentaire de 2% ne constitue pas une amnistie. Autrement dit, cette surtaxe n’efface en rien les infractions éventuelles ni ne protège les contrevenants d’un contrôle fiscal. Les transactions concernées resteront soumises aux procédures de vérification et de redressement prévues par le Code général des impôts.
En s’attaquant à la culture du cash, le gouvernement ne cherche pas seulement à gonfler les recettes publiques, mais à instaurer une nouvelle discipline économique. Le passage à des paiements traçables et bancarisés n’est plus une simple option: il devient un impératif pour moderniser l’économie et assainir les pratiques. Reste à savoir si une taxe supplémentaire suffira à transformer un réflexe aussi ancien que la monnaie elle-même.







