Le premier Conseil de Bank Al-Maghrib de l’année 2022 a évidemment été dominé par les questions liées à la situation économique mondiale, marquée par les répercussions néfastes de la guerre russo-ukrainienne.
Dans ses réponses aux journalistes, Abdellatif Jouahri a insisté sur un point: l’économie mondiale a rarement connu un tel degré d’incertitudes, rendant difficile l’élaboration de prévisions. «Nous vivons une situation inédite, où les incertitudes sont à un niveau encore plus élevé que lors de la pandémie», a-t-il souligné. «Toutes les banques centrales sont obligées d’adapter régulièrement leur prévision», a-t-il ajouté.
Prévision de croissance: «les pluies de mars n’ont pas été prises en compte»Dans un tel contexte, les modèles de prévision utilisés par la banque centrale pour établir ses projections des principaux indicateurs macro-économiques doivent être recoupés avec d’autres éléments pour essayer d’arriver à des chiffres qui s’approchent le plus possible de la réalité.
«Ces chiffres que nous venons de vous présenter sont sujets à actualisation», a ainsi fait savoir le Wali de Bank Al-Maghrib. C’est le cas pour le taux de croissance de l’année 2022, que la Banque centrale a revu considérablement à la baisse (0,7% au lieu d’une prévision initiale de 2,9%), à cause principalement d’une campagne agricole plus faible que prévue, plombée par une production céréalière estimée à 25 millions de quintaux contre 103,2 millions de quintaux un an auparavant.
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Cette prévision du taux de croissance pourrait ainsi rapidement être revue à la hausse, car, comme l’a souligné Abdellatif Jouahri, les pluies de mars n’ont pas été prises en compte dans l’élaboration de cette prévision. «Les dernières pluies auront un impact important sur les cultures printanières, ce qui pourrait faire remonter le taux de croissance de l’économie nationale en 2022», a-t-il assuré.
Taux directeur: statu quo, pour le moment…Comme annoncé hier, la Banque centrale a décidé de maintenir inchangé son taux directeur à 1,5%, malgré les fortes pressions inflationnistes. Selon Abdellatif Jouahri, cette décision se justifie pour au moins deux raisons: l’inflation enregistrée en ce moment n’est pas structurelle d’une part, et la croissance a encore besoin d’être soutenue par une politique monétaire accomodante, d'autre part.
«Au vu des prévisions de l’inflation pour 2022 (un taux de 4,6% bien au-dessus de la cible des 2%) on aurait pu logiquement penser qu’il fallait augmenter les taux. Mais en face, les chiffres pour 2023 montrent que cette inflation devrait se dissiper, et repasser en dessous de 2%. Nous avons fait converger ces données avec la nécessité de soutenir la croissance. Si nos prévisions avaient montré que l’inflation resterait élevée en 2023, nous aurions relevé le taux directeur», a argumenté le Wali.
La décision de maintenir le taux directeur à son niveau actuel a, selon les dires de Jouahri, fait largement consensus parmi les membres du Conseil de Bank Al-Maghrib. «Tout le monde a été convaincu au Conseil. La décision a été acceptée presque sans discussion», a-t-il fait savoir.
Toutefois, prévient-il, les choses peuvent vite évoluer: «si la situation exige une réunion du Conseil avant l’échéance trimestrielle, on la fera, pour adapter le plus rapidement possible notre politique monétaire aux données disponibles».
Jouahri au FMI sur la réforme du régime de change: «nous connaissons notre pays mieux que vous»Abdellatif Jouahri persiste et signe: ce n’est toujours pas le bon moment de passer à la prochaine étape de la réforme du régime de change, et de procéder à un nouvel élargissement des bandes de fluctuations, malgré l’insistance du FMI, qui estime que les conditions financières et économiques sont réunies pour franchir le pas.
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«Nous avons dit au FMI: nous connaissons notre pays mieux que vous», a lancé Jouahri. «Tant que je ne suis pas convaincu que les opérateurs économiques sont prêts, il n’y aura pas de passage à la prochaine étape. Les entreprises, dont 90% sont des TPE, ne sont pas prêtes. Les banques elles aussi doivent mettre en place des mécanismes de contrôle des risques de change. Cela prend du temps», a déclaré le Wali de Bank Al-Maghrib.
Vers une nouvelle LPL?Le Trésor effectuera-t-il sa sortie à l’international pour lever de la dette en devises, comme cela est prévu dans la loi de finances 2022 à hauteur de 40 milliards de dirhams? Rien n’est moins sûr. En effet, après plus de deux ans de conditions financières très favorables, les Etats emprunteurs vont voir le coût de l'argent remonter, dans le sillage de la remontée des taux opérée par les grandes banques centrales, notamment la FED.
«Le Trésor doit examiner la situation du marché, que ce soit sur le plan du timing et des taux», a souligné le Wali. Si les conditions favorables ne sont pas réunies, comme en 2020, année où le Maroc a pu lever près de 40 milliards de dirhams en devises à des conditions très avantageuses, Jouahri a laissé entendre que le Trésor pourrait choisir de solliciter le FMI pour renouveler la Ligne de précaution et de liquidité, la fameuse LPL.
«Il se peut que le Trésor puisse réfléchir à autre chose pour mobiliser des financements extérieurs, comme le renouvellement de la LPL, car le choc est là. Le conflit russo-ukrainien et ses conséquences peut justifier de négocier une LPL», a déclaré le Wali.
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A titre de rappel, le 7 avril 2020, suite au choc occasionné par le déclenchement de la crise sanitaire, le Maroc avait procédé à un tirage sur la Ligne de Précaution et de liquidité (LPL) pour un montant équivalent à près de 3 milliards de dollars.
La mobilisation de cette facilité est intervenue dans le cadre de l’accord au titre de la LPL conclu avec le FMI en 2012 et renouvelé pour la 3e fois en décembre 2018, pour une période de deux ans, avec l’intention de l’utiliser comme assurance contre les chocs extrêmes. Une partie de ces 3 milliards de dollars avait été remboursée par anticipation en décembre 2020. Depuis, le Maroc n’a pas jugé utile de renouveler l’accord avec le FMI.
Cryptomonnaie: un cadre juridique en cours d’élaborationAbdellatif Jouahri s’est également exprimé sur l’état d’avancement du chantier visant à élaborer un cadre juridique régissant l’usage des cryptomonnaies.
«Nous procédons, en coordination avec le FMPI, à l'élaboration d'un cadre juridique, tout en prenant en compte l'expérience d'autres banques centrales avec lesquelles nous entretenons des relations, comme celles de la France, de la Suisse et de la Suède», a expliqué Abdellatif Jouahri, qui suit le dossier de près.
Le Wali de Bank Al-Maghrib a présidé en personne le Comité institutionnel en charge d’étudier et d’analyser les avantages, mais aussi les risques des cryptomonnaies pour l’économie marocaine. «Nous avons tenu quatre réunions au cours desquelles les différents sous-comités ont présenté leur travaux. Ils entament à présent les discussions avec l’assistance technique du FMI et de la Banque mondiale».
Et de conclure: «nous sommes en train de bien avancer».