Après un rebond remarquable en 2021, l’économie nationale entre cette année dans une zone de forte turbulence. Dans un rapport sur les perspectives économiques 2022, la direction Insight de CDG Capital estime que dans «un contexte volatile et tendu, l’économie nationale entame une année incertaine marquée par la détérioration des déficits jumeaux et de niveau d’endettement, une saison agricole 2021-2022 menacée par la sécheresse et la forte hausse des prix des matières premières et énergétiques».
Cette hausse des prix, dont le potentiel demeure «imprévisible», a été exacerbée par le déclenchement de la guerre Russie-Ukraine. «Ses répercussions devront être surveillées compte tenu du poids de l’Ukraine et de la Russie dans le marché des denrées alimentaires et de l’énergie, mais aussi dans le marché des métaux rares qui représentent des intrants importants pour les composants électroniques», estiment les auteurs du rapport.
Un autre facteur de risque pour l’économie marocaine réside dans le resserrement de la politique monétaire de la FED (la banque centrale des Etats-Unis), qui entame une remontée de ses taux directeurs. «Le tournant entamé par la politique monétaire de la FED notamment, annonce le début d’un mouvement «risk off» des investisseurs internationaux, similaire à celui enregistré en 2013», notent les analystes de CDG Capital Insight. Cela engendre, expliquent-ils, «un appétit moindre des investisseurs pour la dette des pays émergents, et une hausse des spreads des économies en voie de développement à l’image du Maroc. Ceci devrait rétrécir les conditions de financement à l’international».
Lire aussi : Guerre en Ukraine et impacts sur le Maroc: ce qu'en pense le think tank Policy Center
En définitive, la hausse des prix des matières premières, et de l’énergie, combinée au rétrécissement des conditions de financement à l’international et au ralentissement de la demande étrangère adressée au Maroc, devraient impacter trois équilibres macro-économiques de l’économie nationale: un creusement du déficit commercial suite au renchérissement des importations, une hausse de l’inflation, et un rétrécissement des conditions de financement du Trésor à l’international, accompagné d’une augmentation des charges de la compensation.
Un déficit commercial à plus de 200 milliards de dirhamsLes équilibres extérieurs sont sous pression face à la hausse des importations et de la faiblesse des recettes touristiques. Selon CDG Capital Insight, le creusement des déficits commercial et du compte courant devraient se poursuivre en 2022 en lien avec la hausse importante prévue des importations (effet prix essentiellement), le ralentissement du taux d’accroissement des recettes MRE et la faible reprise des recettes touristiques.
Alors que les importations sont attendues en forte hausse, les exportations devraient, elles, progresser à un rythme modéré en comparaison avec 2021, compte tenu de la faible hausse prévue des prix des phosphates et dérivés, du quasi-épuisement du potentiel de hausse de la production automobile et du recul prévu des exportations agricoles.
© Copyright : CDG Capital Insight
Tous ces facteurs devraient contribuer à creuser de manière importante le déficit commercial du Maroc, qui pourrait franchir pour la première fois la barre des 200 milliards de dirhams.
Lire aussi : Crise en Ukraine: quelles conséquences pour l’économie marocaine?
En outre, le ralentissement attendu des transferts des MRE après une année 2021 record, combiné à la faible reprise des recettes touristiques et à la hausse modérée des IDE, devrait propulser le déficit du compte courant à près de 5,5% du PIB.
La bonne nouvelle vient toutefois du niveau confortable de réserves de change (Avoir officiels de réserves, AOR) dont dispose le Maroc. CDG Capital Insight rappelle que suite au déclenchement de la crise sanitaire en 2020, les autorités marocaines ont veillé au renforcement des AOR en vue de garantir l’approvisionnement du pays en biens et services importés.
© Copyright : CDG Capital Insight
L’amélioration des AOR résulte de trois facteurs, expliquent les auteurs du rapport: la forte reprise des transferts des MRE (+25 milliards de dirhams en 2021), les deux sorties du Trésor à l’international en 2020 pour un montant de 37,5 milliards de dirhams et le tirage sur la LPL de 27,7 milliards de dirhams (dont le tiers a été remboursé par anticipation en décembre 2020).
Ainsi, les AOR devraient se situer autour de 340 milliards de dirhams en 2022 (contre près de 330 milliards de dirhams en 2021), représentant 6,8 mois d’importations de biens et services.
La croissance en dessous de 3%Pour ce qui est des prévisions de croissance, l’économie nationale en 2022 devrait connaître un «fort ralentissement», en dessous du seuil de 3%, après avoir enregistré près de 7% en 2021.
Lire aussi : Agrumiculture: chute du rouble, sanctions contre la Russie, retards de paiement… Les inquiétudes des exportateurs
Ce ralentissement est la conséquence de deux facteurs. Le premier concerne la campagne agricole qui se déroule dans des conditions climatiques qui semblent globalement défavorables avec une très faible pluviométrie et une mauvaise répartition spatio-temporelle. «Ceci laisse présager une production céréalière en dessous de 40 millions de quintaux (contre plus de 100 millions de quintaux la campagne précédente)», avance CDG Capital Insight.
Le second concerne la croissance non agricole (industries et services) qui devrait également reculer en 2022 compte tenu de la dissipation de l’effet de base de la crise Covid-19, de l’érosion des marges du secteur secondaire à cause de la hausse du prix des matières premières (y compris les semi-produits) et énergétiques, ainsi que du faible redressement de certains secteurs tertiaires, particulièrement le tourisme et le transport.
Trésor: des besoins de financement historiquement élevésDans ce contexte, les besoins de financement du Trésor vont continuer à augmenter en 2022, pour se situer globalement à 164 milliards de dirhams. Il s’agit, selon CDG Capital Insight, d’un «besoin prévisionnel du Trésor public historiquement élevé».
© Copyright : CDG Capital Insight
Ces besoins devraient être assurés par un recours «important» au financement extérieur, à hauteur de 40 milliards de dirhams. Toutefois, notent les auteurs du rapport, «les conditions de financement à l’international sont devenues plus rigides avec des perspectives défavorables».
Les raisons? D’une part, l’amorce imminente d’un cycle de taux haussiers aux Etats-Unis et la fin des politiques monétaires expansionnistes dans plusieurs pays développés. D’autre part, la dégradation de certains équilibres des finances publiques, notamment le niveau du déficit et le taux d’endettement.
Ces deux facteurs devraient induire «un appétit moindre des investisseurs internationaux pour de la dette des pays émergents et en développement», dont le Maroc. En d’autres termes, le recours au financement extérieur semble entouré d’incertitudes, compte tenu du rétrécissement des conditions à l’international.