Mettant à profit les avantages et les zones grises qu’offre le web, la société russe de paris sportifs en ligne 1xBet opère illégalement et en toute impunité au Maroc, causant des préjudices à tous les étages, contournant les mesures d’interdiction dont elle est l’objet. Plutôt discret à ses débuts sur le marché marocain, qui datent de quelques années, le site a fini par opérer à visage découvert, bravant la réglementation nationale et internationale.
Illégalité avérée
Depuis septembre 2021, le Maroc fait partie des pays signataires de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation des compétitions sportives, dite Convention de Macolin. L’un des principaux apports de ce texte est de définir le pari sportif illégal, présenté comme «tout pari sportif dont le type ou l’opérateur n’est pas autorisé, en vertu du droit applicable dans la juridiction où se trouve le consommateur».
Cette convention définit également les moyens de coercition, notamment «la fermeture ou la restriction directe et indirecte de l’accès aux opérateurs de paris sportifs illégaux à distance et la fermeture des opérateurs de paris illégaux disposant d’un réseau physique relevant de sa juridiction», ainsi que le «blocage des flux financiers entre les opérateurs de paris sportifs illégaux et les consommateurs, et l’interdiction de la publicité pour les opérateurs de paris sportifs illégaux».
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Un texte qui s’applique pleinement au cas de 1xBet, qui ne dispose pas de licence au Maroc pour exercer l’activité des paris sportifs. Celle-ci est, en vertu des conventions signées avec l’État, le monopole de la Marocaine des jeux et des sports (MDJS), exception faite des courses de chevaux et de lévriers.
Modes opératoires
Pourtant, défiant la réglementation, 1xBet poursuit sa conquête du marché marocain, en s’appuyant sur les moyens de paiement en devises disponibles. Une enquête réalisée par la MDJS en a identifié trois principaux, utilisés par les sites de paris en ligne: les cartes bancaires marocaines, les portefeuilles électroniques et l’intervention d’intermédiaires locaux.
Ainsi, il est possible d’effectuer des paiements sur 1xBet avec une classique carte bancaire marocaine, les banques autorisant la transaction… bien que le site soit dans l’illégalité, déplore la MDJS, qui dit avoir frappé à toutes les portes pour faire appliquer la loi, en vain.
Et même en cas de blocage, les portefeuilles électroniques, à approvisionner en devises étrangères par le biais d’une carte bancaire, permettent de le contourner. Enfin, des intermédiaires proposent aux parieurs d’acheter en dirhams des devises (à des cours évidemment supérieurs ceux du marché) pour les utiliser directement sur les sites de paris. Une solution qui leur permet en outre de dépasser le plafond de 15.000 dirhams par an, fixé par la réglementation marocaine des changes sur les transactions en devises via Internet.
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Curieusement, 1xBet n’a même plus à s’embarrasser de ces voies louvoyantes, puisque le site accepte les paris en dirhams et affiche les différents moyens de paiement disponibles, dont ceux des banques locales. De quoi donner l’impression d’opérer en toute légalité!
L’opérateur soigne sa aussi notoriété en multipliant les campagnes de communication, sur les supports de l’affichage ou de la radio, et en faisant appel aux services d’influenceurs sur les réseaux sociaux. Mieux, 1xBet figure parmi les partenaires de clubs renommés, dont celui du Raja de Casablanca et de l’Association sportive de Salé (section basketball).
Un taux de retour élevé qui encourage l’addiction
Mais si 1xBet connaît un succès certain, c’est aussi parce qu’il affiche un «taux de retour joueur» (TRJ) très élevé. Correspondant au pourcentage des mises des joueurs qui leur sont redistribuées sous forme de gains, ce ratio ne dépasse pas les 66% chez la MDJS, alors qu’il oscille entre 85 et 95% chez l’opérateur russe. Cette stratégie a permis à ce dernier de gagner rapidement des parts de marché et de fidéliser sa clientèle, quitte à encourager l’addiction, notamment chez les plus jeunes, soufflent ses détracteurs.
Un important manque à gagner
Une étude réalisée par la MDJS, dont certains détails sont mentionnés dans la plainte qu’elle a déposée auprès du parquet, montre que l’opérateur nartional ne capte que 35% des revenus des paris au Maroc, contre 65% pour les paris illégaux.
Dans les comptes de la MDJS, cette répartition a correspondu en 2021 à un revenu de 3,91 milliards de dirhams (sur un total de près de 11 milliards de dirhams), à 4,18 milliards de dirhams (sur un total de 11,83 milliards de dirhams) en en 2022, et devrait se placer en 2023 à 4,45 milliards de dirhams, sur un total de 12,63 milliards de dirhams. Ce manque à gagner impacte aussi par ricochet les ressources du Fonds national du développement du sport (FNDS), auquel la MDJS reverse environ 600 millions de dirhams par an.
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Pour faire face à ces acteurs intrus qui le «volent», et partant volent à l’État marocain une partie substantielle des revenus, la MDJS a décrété une mobilisation depuis des années. La société a d’abord réalisé un important travail d’investigation sur le terrain, ce qui lui a permis de cerner notamment l’ampleur du phénomène, les méthodes de travail des sites de paris illégaux, ainsi que la passivité de certains opérateurs et institutions qui permettent à des sociétés, qui ne paient pas un dirham d’impôt, de détourner des milliards de dirhams des caisses de l’État en toute impunité.
Ce travail a permis également d’avoir une idée sur le manque à gagner de la MDJS à cause de cette activité illégale des paris sportifs sur le marché marocain. S’appuyant sur cette investigation, la MDJS a déposé une plainte auprès du ministère public contre 1xBet, le 31 mars 2023.
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Parallèlement, la société mène une campagne auprès de tous les acteurs dont l’intervention peut contribuer à mettre un terme à ces paris sportifs illégaux au Maroc. Il s’agit notamment des banques, des médias (radios privées), des sociétés opérant dans le domaine de la publicité, de certains ministères (des sports, des finances, de la communication…), de l’Office des changes, de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel, des fédérations sportives, notamment la Fédération royale marocaine de football, des clubs sportifs…
La mobilisation de la MDJS ne pourra pas toutefois porter ses fruits si les pouvoirs publics ne prennent pas à bras-le-corps ce sujet qui réduit la manne versée au Trésor public tout en entravant le développement du sport dans notre pays.