Sur les 320.000 auto-entrepreneurs que compte aujourd'hui le Maroc, moins de 10% ont déclaré leur chiffre d’affaires au cours du mandat du dernier gouvernement, a dernièrement annoncé Younes Sekkouri, ministre de l’Intégration économique, des petites entreprises, de l’emploi et des compétences, lorsqu'il a été auditionné par les députés à la Chambre des représentants.
Devant le feu roulant des questions orales des députés, le ministre a tout de même concédé le fait que depuis l'instauration de la couverture sociale pour cette catégorie d’entrepreneurs, les déclarations d'impôts ont augmenté. En deux mois, ce sont ainsi près de 80.000 nouveaux auto-entrepreneurs qui ont été déclarés, dont 20% se sont déjà acquittés de leurs impôts envers l’Etat.
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L’effet de la généralisation de la couverture médicale s'est donc fait ressentir, mais le taux de déclarations du chiffre d’affaires demeure faible à ce jour. Aussi, le gouvernement s’apprête à amender la loi n°114.13 qui définit et qui régit l'activité de ces travailleurs indépendants, dans le but de rendre leur statut plus attractif, et donc de davantage persuader les auto-entrepreneurs à payer leur impôts, a affirmé le ministre. Mais cela sera-t-il possible?
Contacté par Le360, le président du Centre marocain pour la gouvernance et le management (CMGM), Youssef Guerraoui Filali, explique les raisons qui président à ce désengagement des auto-entrepreneurs à payer leurs impôts. Selon cet expert en entrepreneuriat, la faible adhésion des auto-entrepreneurs à s'acquitter de ce devoir civique s’explique avant tout par l’absence, au Maroc, d'une culture de l’auto-déclaration du chiffre d'affaires auprès de cette catégorie spécifique d’entrepreneurs, souvent jeunes et inexpérimentés.
«Les obligations fiscales de l’auto-entrepreneur sont calculées sur une base trimestrielle et sur la base du chiffre d’affaires. La déclaration s'effectue librement, le premier mois suivant le trimestre d’activité, après facturations et encaissements, pour un taux résiduel de 0,5%. Plusieurs entrepreneurs manquent alors à ce devoir», détaille-t-il.
Il explique aussi que ce faible nombre de déclarations d'impôts est également dû au contexte de la crise, au cours duquel un grand nombre d’auto-entrepreneurs n'ont pas pu remplir leurs carnets de commande, et n’ont donc pas pu exercer leurs activités, ni encaisser des factures. Devant ces incertitudes, les entreprises hésitent de plus en plus à passer commande, voire reportent bon nombre de leurs projets d’extension. Par conséquent, «beaucoup d’auto-entrepreneurs sont en arrêt d’activité et comme les déclarations sont faites sur la base d'encaissements, il est tout à fait normal que ce taux chute face à la crise qui dure depuis deux ans déjà», précise le président du CMGM.
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Le manque de confiance des clients dans cette catégorie d’entrepreneurs joue aussi un rôle dans leur faible taux d’activité. «Généralement, les entreprises sont plus hésitantes à faire confiance aux auto-entrepreneurs qu'à des TPE ou à des PME, plus structurées. On pense toujours qu'ils ne sont pas assez expérimentés, qu’il manquent de professionnalisme et qu’il existe un risque de désengagement», regrette-t-il.
Pour instaurer un climat de confiance, Youssef Guerraoui Filali insiste sur le devoir des administrations publiques et des grandes entreprises de donner l'exemple, afin de créer un effet domino: «il faut développer les commandes qui s’adressent aux auto-entrepreneurs, c’est le rôle de l'Etat, de l'administration, du patronat et du syndicat professionnel de leur faire confiance et de leur permettre de devenir expérimentés, de monter en compétences et de faire fructifier leur chiffre d’affaires, pour qu’ils fassent plus de déclarations d'impôts».
Il faut savoir qu'il serait également envisagé de relever le plafond du chiffre d’affaires de cette catégorie, afin d'en élargir le cercle des bénéficiaires. «A ce jour, pour bénéficier du statut d’auto-entrepreneur, le chiffre d’affaires annuel encaissé ne doit pas dépasser les 500.000 dirhams pour les activités commerciales, industrielles et artisanales, et 200.000 dirhams pour les prestations de services. Il serait intéressant de relever ce seuil pour permettre à plus d’entrepreneurs d’y adhérer», indique Youssef Filali Guerraoui.
Selon lui, «on peut également faciliter davantage les procédures de déclarations en permettant aux auto-entrepreneurs qui débutent de déclarer leur chiffre d’affaires après un semestre complet d’activité, au lieu des trois mois» actuellement requis.
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Le président du Centre marocain pour la gouvernance et le management insiste par ailleurs sur le besoin de permettre aux auto-entrepreneurs d’embaucher un ou plusieurs salariés en cas d’accroissement ponctuel de leur activité, afin de permettre la création de plus de valeur ajoutée, d’absorber le chômage et d’élargir l'écosystème national.
Dans le même ordre d'idées, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a proposé, dans son dernier avis, d'améliorer l’attractivité du statut de l’auto-entrepreneur en élevant le seuil du chiffre d’affaires annuel maximal, et en autorisant le recrutement d’un maximum de 2 ou 3 salariés.
«Il ne faut pas s’attendre à beaucoup de recettes fiscales à travers le statut d'auto-entrepreneur, le but est avant tout de favoriser l'intégration professionnelle, de stimuler l’entrepreneuriat et de créer de la valeur ajoutée», a averti pour conclure Youssef Guerraoui Filali, expliquant que de fait, «le vrai manque à gagner de l’Etat en termes de recettes fiscales relève des TPE et PME qui opèrent au marché noir, de Sarl structurées, mais dont les revenus ne sont pas déclarés. Selon les dernières données disponibles, tout cela représente pas moins de 50 milliards de dirhams de manque à gagner de recettes fiscales par an».