Dans son communiqué, l'Alliance des économistes istiqlaliens (AEI) affirme constater avec inquiétude que le gouvernement ne réagit pas avec la vigueur et le volontarisme nécessaires pour endiguer la crise sans précédent que travers le Maroc: dégradation de la situation des ménages et du pouvoir d’achat, recul de la demande adressée au Maroc, ascension fulgurante du chômage et fermeture de milliers d’entreprises, notamment des PME/TPE, etc.
Pour les économistes du parti de la Balance, le gouvernement est loin d’être rassurant face à cette crise sans précédent. Dans la continuité de la politique adoptée par la loi de finance rectificative 2020, la lettre de cadrage pour la préparation du projet de loi de finance 2021 annonce des coupes budgétaires sans précédent, déplore l’AEI.
Attendu sur une politique économique contracyclique vigoureuse et la mobilisation des moyens qu’exige une telle situation, le gouvernement n’annonce, in fine, que 20 milliards de dirhams d’engagements budgétaires directs., ajoute la même source.
Au moment même où le FMI appelle à intensifier le soutien à la relance et propose de nouvelles lignes de financement et des échéances de remboursement soutenables, le gouvernement se tient à une logique qui ne permet ni de dépasser la crise, ni de préserver les équilibres des comptes publics, poursuit l’AEI.
Aux yeux des économistes istiqlaliens, une telle approche risque d’amener le gouvernement à emprunter, dans des conditions de plus en plus difficiles, pour répondre à une dégradation socio-économique prévisible.
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Evoquant le plan relance de 120 milliards de dirhams, l’AEI souligne que ce montant devrait être directement injecté par l’Etat en appui aux fonds propres des entreprises, publiques ou privées, impactées par la crise.
«Ces ressources doivent aussi bénéficier aux entreprises et aux projets d’investissements stratégiques directement productifs et générateurs d’emplois. Il est donc nécessaire de préciser les montants réels directement engagés par l’Etat à cet effet, leur programmation dans le temps et leur répartition territoriale et sectorielle», soutient l’AEI.
Ci-après les dix propositions formulées par l’AEI dans le cadre du projet de loi de finances 2021:
Axe 1: sauvegarder les entreprises et préserver les emplois
1- Privilégier l’investissement public, productif et générateur d’emplois, principalement via:
- L’investissement de l’Etat, des collectivités locales et des entreprises publiques dans des projets directement productifs de valeur et créateurs d’emplois durables;
- Le sauvetage des entreprises, notamment TPE, en difficulté, tout en facilitant les réformes en cours;
- Le recours systématique à la préférence nationale.
2- Soutenir les entreprises et secteurs en difficulté:
- Exonérer (et amnistier le cas échéant), de tous droits et taxes, les apports des associés pour augmenter les fonds propres de leurs entreprises;
- Accorder aux repreneurs des entreprises en difficulté les mêmes avantages que ceux accordés aux nouveaux investisseurs et simplifier les procédures de cession;
- Programmer une aide aux artisans leur permettant de financer leur cycle d’exploitation, leur donner l’accès à «Intilaka», au même titre que les start-ups.
3- Prévoir des programmes intensifs d’encouragement des TPE:
- Accélérer le processus d’attribution du statut d’auto-entrepreneurs et permettre à ces derniers d’embaucher des salariés apprentis;
- Favoriser l’accès des TPE aux marchés publics moyennant la garantie CCG et réduire les délais de paiement de leurs créances;
- Accélérer l’opérationnalisation des missions attribuées à la Société nationale de Garantie et de Financement de l’Entreprise (ex CCG), particulièrement l’accompagnement et l’assistance technique aux TPE et l’inclusion financière des opérateurs non éligibles au crédit bancaire;
- Mettre en œuvre les nouvelles missions des CRI leur permettant de soutenir les PME et TPE.
4- Encourager la régularisation des activités et emplois informels, moyennant une amnistie fiscale et sociale et l’accès aux programmes de financement en cours.
Axe 2: préserver le pouvoir d’achat des ménages marocains
5- Protéger le pouvoir d’achat des citoyens et lancer, au plus vite, les outils de la couverture sociale généralisée, en adoptant les actions urgentes suivantes:
- Instaurer la contribution professionnelle unique (CPU), pour les forfaitaires et auto-entrepreneurs et permettre à leurs enfants d’accéder systématiquement aux bourses sociales d’études;
- Mettre en œuvre l’Indemnité pour perte d’emploi au profit des victimes de la crise coronavirus et en profiter pour régulariser la situation des salariés non déclarés;
- Réactiver la promotion nationale et lancer des chantiers d’utilité publique, bien définis, dans les communes rurales et urbaines;
- Relancer l’accès au logement en octroyant des exonérations aux acquéreurs: TVA sur intérêts des crédits au logement, droits d’enregistrement et conservation foncière;
- Elargir et relever la valeur des tranches de l’IR pour réduire la pression fiscale sur les moyens et faibles revenus;
- Déduire, de la base imposable au titre de l’IR, les dépenses destinées à l’éducation des enfants;
- Exonérer de TVA toutes les dépenses de santé (actes médicaux et médicaments éligibles à l’AMO), notamment ceux concernant le traitement des maladies chroniques.
Axe 3: préparer l’avenir
6- Entamer la nécessaire transition écologique, aux niveaux national, régional et local, en réservant une part significative des investissements publics à des secteurs ayant un effet d’entrainement économique, social et environnemental immédiat à travers:
- La mise en œuvre, dans les délais programmés, du plan d’urgence d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, doté d’un budget de 115 milliards de Dhs;
- Le lancement des projets de l’Autoroute de l’eau et d’introduction du Gaz naturel liquéfié;
- L’appui des collectivités territoriales pour améliorer les déplacements urbains selon des schémas directeurs privilégiant la mobilité durable et incluant l’amélioration des infrastructures routières, la construction de pistes cyclables et des parkings;
- Le développement de filières formelles et organisées de gestion et de recyclage des déchets avec l’application du principe du pollueur payeur;
- Le lancement de petits projets décentralisés d’énergie renouvelable en encourageant les équipements en photovoltaïque (toitures de bâtiments, unités de pompage d’eau).
7- Accélérer la digitalisation des foyers, des entreprises et des services publics en programmant le financement des actions suivantes:
- Lancer le programme d’équipement généralisé des foyers et entreprises en internet haut débit;
- Mettre en place un écosystème favorable au développement des entreprises du numérique;
- Accompagner les entreprises dans leur digitalisation et en assurer le financement;
- Investir dans l’inclusion financière des citoyens, le développement de la mobil-money et la réduction du cash.
8- Adapter l’organisation de l’État aux enjeux du digital. L’effort budgétaire doit essentiellement chercher à:
- Créer l’identité digitale du citoyen. Le Registre Social Unifié (RSU) doit être le premier output de cette digitalisation;
- Digitaliser les services publics aux niveaux de l’Etat et des collectivités territoriales, ainsi que les flux de données entre les différentes administrations (Open Data);
- Mettre en place des guichets uniques e-Gov, agissant comme interface entre le citoyen et les e-services de l’Etat.
9- Moderniser l’éducation et faire du digital un levier de réduction des inégalités territoriales en priorisant les actions suivantes:
- Accélérer la réforme pédagogique des systèmes scolaire et universitaire en s’appuyant sur le digital;
- Intégrer l’enseignement du numérique (cours d’informatique et de codage) dans les programmes d’éducation, dès le primaire, pour accélérer la transition numérique de l’école ;
- Former et accompagner les enseignants dans leur prise en main de l’outil numérique ;
- Doter chaque classe d’une connexion internet ;
- Financer un large programme de formation et de reconversion des jeunes diplômés à la programmation pour se préparer aux besoins actuels et futurs du marché de l’emploi.
10- Garantir notre sécurité sanitaire et l’égalité de l’accès des citoyens marocains aux soins en budgétisant les actions suivantes:
- Etablir et mettre en œuvre une stratégie de prévention contre les maladies chroniques et virales;
- Soutenir une politique pharmaceutique garantissant la qualité et la disponibilité des médicaments, des produits de santé et de vaccins stratégiques.
- Mettre en place une stratégie de formation visant à combler le déficit en cadres de santé de 50%.
- Revaloriser les conditions de travail et de rémunération des personnels de santé;
- Promouvoir une nouvelle économie de la santé incluant la formation des ressources humaines, la production des soins et des médicaments et l’élargissement de notre souveraineté sanitaire;
- Développer la recherche dans les domaines des sciences médicales, pharmaceutiques et épidémiologiques;
- Encourager des partenariats public-privé ciblant l’amélioration de l’accessibilité et la qualité des soins, particulièrement dans les petites localités.
Pour consolider la confiance et financer la relance, l’AEI souligne que le Maroc peut profiter de la faiblesse des taux, de la largesse des différés et de la notation qui lui est, jusqu’à présent, favorable pour préempter des dizaines de milliards de dirhams en facilités de financement international dont le Maroc risque d’avoir besoin dans les prochains mois.
Enfin, l’AEI exhorte le gouvernement à accélérer la promulgation de la nouvelle loi-cadre fiscale, de la nouvelle charte des investissements et de la loi régissant les partenariats public-privé. «Ces textes contribueront à l’amélioration de l’environnement des affaires de notre Pays et donneront de la visibilité aux acteurs économiques nationaux et aux investisseurs étrangers», conclut le communiqué des économistes istiqlaliens.