Réforme des prix des médicaments: les raisons de la colère

La réforme de la tarification des médicaments au Maroc a ouvert un vif conflit opposant les pharmaciens au ministère de la Santé.

Revue de presseLa réforme de la tarification des médicaments au Maroc déclenche un bras de fer entre pharmaciens et ministère de la Santé. Derrière les débats sur les marges et les prix, c’est tout un écosystème économique et social qui est en jeu: la survie financière des officines, l’accès des citoyens aux traitements et la soutenabilité du système d’assurance maladie. Cet article est une revue de presse tirée du quotidien Les Inspirations Eco.

Le 10/09/2025 à 19h44

Mardi, des centaines de pharmaciens ont convergé vers le ministère de la Santé à Rabat, formant un parvis noir de blouses blanches. «La mobilisation cible le projet de décret révisant la fixation des prix des médicaments, un texte que le ministère justifie par la nécessité de moderniser les mécanismes existants et de sécuriser financièrement l’assurance maladie», indique le quotidien Les Inspirations Eco dans son édition du 11 septembre.

Parmi les mesures annoncées, figurent des révisions tarifaires plus fréquentes, une indexation obligatoire des génériques à 30% en dessous du princeps, un plafonnement du nombre de génériques par molécule, l’introduction de prix négociés pour les traitements coûteux et un droit de substitution pour les pharmaciens. L’objectif affiché est double: réduire le coût pour les patients tout en garantissant la soutenabilité financière du système de santé.

Le point de friction majeur reste les marges des pharmaciens. Les textes réglementaires fixent des marges brutes théoriques de 30 à 50% pour les médicaments les moins chers, avec des forfaits de 300 à 400 dirhams pour les plus coûteux. Or, Hafid Oualalou, pharmacien d’officine, précise que la marge nette effective après charges (loyers, salaires, fiscalité) ne dépasse souvent pas 6 à 10%.

Cette distinction entre marge brute et marge nette met en lumière la fragilité économique des officines, écrit le quotidien. Une baisse mécanique des prix, sans compensation, pourrait menacer leur équilibre financier. Les officines alertent particulièrement sur les traitements très coûteux, comme les anticancéreux et les médicaments destinés aux pathologies chroniques, dont l’approvisionnement est souvent importé et concentré dans les hôpitaux et cliniques privées plutôt que dans les pharmacies de quartier.

De plus, le médicament représente 34% des dépenses de la CNSS. Or, la réforme se concentre presque exclusivement sur ce poste, sans prendre en compte d’autres coûts significatifs pour les assurés, comme la radiologie, les analyses, les hospitalisations ou les honoraires médicaux. Pour les pharmaciens, une politique de santé efficace doit intégrer l’ensemble de la chaîne de dépenses pour atteindre un réel équilibre économique.

Au-delà des marges, le secteur dénonce un problème structurel de gouvernance. Le nombre exact de pharmacies au Maroc reste incertain. Hafid Oualalou appelle à la publication annuelle d’un recensement des officines et des pharmaciens en exercice, afin de renforcer la transparence et la représentativité de la profession.

La grogne ne se limite pas aux prix. Les pharmaciens dénoncent également la vente illégale de médicaments, le manque de contrôle sur les compléments alimentaires, des arrestations jugées injustifiées et l’absence d’élections des conseils de l’Ordre depuis huit ans. «Selon la CSPM, le modèle actuel des pharmacies a atteint ses limites et nécessite une révision complète pour réaffirmer le rôle du pharmacien dans le système de santé», résume Les Inspirations Eco.

Pour le gouvernement, la réforme reste indispensable. Le Maroc est un des pays où les médicaments sont jugés chers par rapport au pouvoir d’achat. Encourager la production locale, introduire de nouvelles modalités de fixation des prix et permettre aux pharmaciens de substituer sont autant de leviers économiques pour améliorer l’accès et la compétitivité du marché pharmaceutique. Le ministère insiste sur l’intérêt général et la soutenabilité de la dépense publique, rappelant que le poste «médicament» représente une part majeure du budget santé. Pour les officines, elle représente un risque potentiel de compression des marges, nécessitant un rééquilibrage entre prix des médicaments et coûts de fonctionnement.

Pour les patients, l’objectif est de réduire le coût des traitements, tout en favorisant la consommation de génériques moins chers. Pour l’assurance maladie et le budget de l’État, la réforme vise à sécuriser la soutenabilité financière et à rationaliser les dépenses liées aux médicaments, un poste lourd qui pèse sur la CNSS et les budgets publics. Pour le marché pharmaceutique marocain, l’accent sur la production locale et la régulation des génériques pourrait stimuler l’investissement, la concurrence et la modernisation des circuits de distribution.

Ainsi, le bras de fer actuel entre pharmaciens et gouvernement illustre le défi de concilier protection sociale, viabilité économique des officines et rationalisation du système de santé. Une réforme équilibrée nécessitera des mesures compensatoires et une gouvernance renforcée pour que l’intérêt des patients et la santé économique du secteur soient simultanément préservés.

Par La Rédaction
Le 10/09/2025 à 19h44