De part et d’autre d’un paysage accidenté, le long de la route El Youdi, qui scinde en deux le quartier industriel de Safi, se laissent voir les vestiges d’une zone quasi-désertique. Des ateliers fantômes à perte de vue. Devant quelques fabriques, encore opérationnelles, des travailleurs s’activent pour charger et décharger des cartons de marchandise. A l'intérieur, à l’abri des regards, des ouvrières traitent les sardines qui défilent sur des lignes de production peu mécanisées. Dans cette zone presque abandonnée qui s’étale sur 6 km, la circulation est tellement fluide que des chauffeurs de camions y transitent pour se rabattre rapidement sur l’arrière-pays de Safi, afin de prendre la direction d'Essaouira.
«A l’époque, il y avait des bouchons, tellement la zone foisonnait d’activité», se souvient un ancien fournisseur de poisson, né à Safi. «A l’époque», entendez, au milieu des années 70, période au cours de laquelle cette zone abritait près de 75 conserveries, contre une vingtaine d’unités de traitement de poissons seulement en 2022 (dont 19 conserveries, 4 usines de valorisation de déchets de poisson, 2 unités de congélation). A cette époque, Safi se targuait d’abriter l’un des plus importants tissus industriels exportateurs de sardines au monde.
Un positionnement que la ville doit d’abord à une espèce de sardine, endémique des eaux poissonneuses de cette partie du littoral marocain, la Sardina pilchardus (Walbaum), très demandée, surtout sur le marché européen. Safi doit ensuite ce positionnement à la qualité du produit fini, à l’issue de sa valorisation: des sardines «sans peau et sans arêtes», entièrement préparées à la main. Un savoir-faire qui reste d’ailleurs propre aux femmes sardinières safiotes. «Le marché exige toujours cette qualité d’exécution», commente Hassan Saadouni, secrétaire général d’un groupement d’industriels et entrepreneur qui œuvre à Safi.
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Mais c'est au milieu des années 80 que l’industrie de la conserve safiote a traversé sa première zone de turbulences. A l’issue d'une vague de nationalisations, plusieurs investisseurs français ont cédé leur parts à des hommes d’affaires pas forcément rompus aux exigences du métier.
S'en est suivie une série d'opérations de fusion-absorption, qui ont transformé le secteur, au fil des années, en un marché oligopolistique. «Aujourd’hui, nous avons certes 19 unités de production, mais elles sont plus modernes et ont de grosses capacités de production», explique Hassan Saadouni.
En effet, la capacité de production actuelle (100 tonnes/jour) est sans commune mesure avec le tonnage qui a pu être réalisé par le passé. Selon les dernières statistiques disponibles auprès de l’Office des changes (2019), l’industrie de la conserve réalise près de 80% de son volume d’affaires à l’export, soit près de 170 millions d’euros. Si la sardine de Safi se vend, aujourd'hui encore, dans plus de 100 pays, elle conserve aussi 50% de parts de marché à l’échelle nationale.
Qu’est ce qui explique alors ce fossé entre les réalisations, et ce qui est constaté sur le terrain, qui donne vraiment ce sentiment que l’industrie safiote est sur le déclin? A en croire certains opérateurs locaux, tout cela, c’est à cause de l’érosion de la falaise Amouni, qui pousse la plupart des industriels à fuir la zone. C’est le cas de Sardex, par exemple, qui a dû réinstaller son usine à Dakhla.
En effet, au fil des années, la houle a fini par creuser des cavités, où l'eau de mer est venue s’infiltrer. Tout un périmètre situé sur la falaise, qui s’étend sur 12 km, est menacé d’effondrement, ce qui a incité les industriels à se rabattre sur une nouvelle ZI, de 40 hectares, dans la commune de Khat Azakane, prévue dans le cadre du nouveau plan d’aménagement de la ville. La zone est toutefois jugée «trop restreinte pour accueillir l’ensemble des lignes de production de conserve»... Une solution provisoire, en attendant que l'autorisation leur soit donnée de s'installer à Oulad Salmane, une zone adossée à une plateforme logistique.