Tribune. On a fini par réveiller le monstre: du retour de l’inflation au Maroc

Nabil Adel, économiste et consultant.

TribuneDepuis plusieurs mois, le Maroc est frappé, à l’instar de nombreux pays, par une forte hausse des prix. Celle-ci a affecté le pouvoir d’achat des ménages, rongé les marges des entreprises et mis de l’incertitude dans les politiques publiques. Dans une série de tribunes, l’économiste Nabil Adel donne d’analyser en profondeur le phénomène, avant d’y apporter les solutions idoines.

Le 30/03/2023 à 11h00

Depuis plusieurs mois, le Maroc est frappé, à l’instar de nombreux de pays, de plein fouet par une forte hausse des prix. Celle-ci a affecté le pouvoir d’achat des ménages, rongé les marges des entreprises et mis de l’incertitude dans les politiques publiques.

Les analystes ont dans un premier temps imputé le retour de ce phénomène à des chocs externes, avant que l’adoption par Bank-Al-Maghrib d’une politique monétaire rigoureuse ne mette un terme à cette explication pour le moins simpliste.

Dans cette série d’articles ramadanesques, nous analyserons dans le détail cette inflation et, chiffres à l’appui, nous en expliquerons les causes et proposerons quelques pistes de mesures pour en venir à bout. Le premier article est dédié à la qualification du phénomène et à sa compréhension, préalables indispensables à toute action de lutte efficace.

De quoi parlons-nous?

Une ambiguïté forte est observée quant à la qualification du mouvement haussier des prix observé au Maroc depuis juillet 2021. Nombre d’analystes l’expliquaient jusqu’à très récemment comme étant de «l’inflation d’importée», l’attribuant à la hausse des cours de certaines matières premières à l’échelle internationale.

À ce titre, il est important de rappeler que l’augmentation des prix de certains biens et services par rapport à d’autres, aussi forte soit-elle, ne peut pas être considérée comme de l’inflation. Quand on observe un tel phénomène (hausse, même très forte, de certains prix), il s’agit juste d’un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché de ces biens et services. Il peut être imputé à plusieurs facteurs, dont certains peuvent être d’origine externe (ou importée), ou signaler un dysfonctionnement dans les mécanismes du marché de ces biens et services. Celui-ci requiert l’intervention des autorités de la concurrence pour le corriger. On est donc en présence d’un phénomène sectoriel (ou mésoéconomique).

En revanche, ce à quoi nous assistons actuellement, est un phénomène d’ordre macroéconomique d’essence monétaire, et non à un mouvement des prix sur quelques biens et services. Il ne s’agit pas d’un simple dérapage des prix dû à des facteurs «importés» et que ceux-ci reprendront leur niveau normal, quand ces facteurs disparaîtront.

Pour rappel, durant la décennie 2000, les cours du pétrole sont passés de 25 dollars en 2000 à 124 dollars en 2008, il y avait deux guerres au Moyen-Orient (Afghanistan et Iraq) et une lutte mondiale contre le terrorisme. Et pourtant, l’inflation au Maroc, comme partout dans le monde, était restée à des niveaux modérés, avec un taux maximal de 4,23% en 2001. En effet, à l’époque, la rigueur monétaire était de mise et la lutte contre l’inflation était le souci majeur des autorités monétaires.

Pour la énième fois, l’inflation est un phénomène purement monétaire, caractérisé par un déséquilibre entre l’offre et la demande de monnaie. Elle se manifeste par l’accroissement général, durable et autoentretenu des prix et se traduit par une perte de pouvoir d’achat. Cette perte de pouvoir d’achat signifie tout simplement que, pour la même quantité de travail fournie par un salarié, il achète moins de biens et services. En d’autres termes, le salaire qui couvrait les frais d’un mois ne suffit plus le 15, alors que ni la quantité de travail ni la productivité du salarié n’ont régressé!

Ainsi, l’augmentation des prix de certains biens et services par rapport à d’autres, aussi forte soit-elle, ne peut en aucun cas être qualifiée d’inflation. Pour parler d’inflation, l’augmentation des prix est une condition nécessaire, mais pas suffisante. La hausse doit être générale, durable et autoentretenue.

Générale, c’est-à-dire touchant l’ensemble (ou la grande majorité) des articles contenus dans l’indice des prix à la consommation. On doit être en présence d’un mouvement d’ensemble et non sur quelques articles.

Durable, c’est-à-dire s’inscrivant dans un mouvement haussier sur plusieurs mois, permettant de conclure à une tendance de fond et excluant tout mouvement passager qui exprimerait un déséquilibre momentané sur le marché des biens et services ou sur le marché de travail.

Autoentretenue, c’est-à-dire s’alimentant d’elle-même et non de facteurs exogènes. En économie, les phénomènes étudiés peuvent être affectés par des facteurs exogènes ou développant une dynamique interne liée au passage du temps comme seul (ou principal) facteur explicatif. En d’autres termes, le niveau d’inflation d’un mois augmente la probabilité de ce même niveau le mois suivant.

Les analyses que nous avons effectuées montrent en effet qu’au Maroc, l’inflation d’une période est expliquée à 87,6% par son niveau de la période précédente.

Nous sommes donc bel et bien en présence d’une inflation d’origine monétaire et non pas d’une simple hausse de prix sur certains biens et services. Le phénomène est donc macroéconomique et non sectoriel. Les causes sont, par voie de conséquence, à chercher dans les politiques économiques de ces dernières années et non pas dans les déséquilibres entre l’offre et la demande dans certains marchés de biens et services, comme le pensait le HCP et comme persiste à le penser le gouvernement. C’est à l’analyse des causes de cette inflation que nous consacrerons notre prochaine tribune.


Par Nabil Adel
Le 30/03/2023 à 11h00