"C'est horrible, horrible, horrible ! Ils ne peuvent pas faire ça à quelques jours de Noël. Ils n'ont pas le droit", se lamente Yajaira Pérez, femme au foyer venue dès l'aube pour faire la queue devant une agence bancaire de l'est de Caracas.
L'annonce a pris la population par surprise. Dimanche, le président socialiste Nicolas Maduro a signé un décret d'urgence ordonnant le retrait de la circulation dans un délai de 72 heures des plus grosses coupures actuelles, les billets de 100 bolivars (0,15 dollar au taux officiel le plus élevé).
C'est un nouveau coup dur pour les Vénézuéliens qui supportent déjà au quotidien des files d'attente interminables face aux supermarchés et aux pharmacies, dans ce pays plongé dans une grave crise économique se traduisant par une pénurie de 80% des produits de première nécessité.
Cette fois, dès mardi matin, ils ont dû se précipiter à leurs banques et faire la queue pour rendre ces coupures bientôt dépourvues de valeur. Signe de la nervosité ambiante, certains criaient ou se poussaient s'ils voyaient quelqu'un tenter de passer devant.
Pour la quinquagénaire Yajaira, comme pour beaucoup d'autres, l'opération ruine des semaines d'efforts et de patience pour mettre de côté du liquide, alors que l'inflation galopante, 475% en 2016 selon le FMI, exige d'avoir toujours plus de billets sur soi.
"Peu à peu, j'avais rassemblé de l'argent pour en avoir en cas d'urgence. Et désormais, je dois venir et me retrouver sans liquide", confie-t-elle, consternée, à l'AFP.
Pour justifier sa mesure spectaculaire, qui rappelle la démonétisation opérée en novembre en Inde contre la corruption, Nicolas Maduro a évoqué l'existence de "mafias internationales" ayant accumulé des quantités considérables de billets de 100 bolivars.
Selon le dirigeant socialiste, il s'agit, en sous-main, d'un complot orchestré par le Département d'Etat des Etats-Unis, l'éternelle bête noire de Caracas, pour "asphyxier" l'économie vénézuélienne, déjà mal en point avec la chute des cours du pétrole, son unique richesse.
"Personne ne va perdre son argent", a promis le chef de l'Etat, déjà très impopulaire à cause de la crise, demandant aux habitants d'être compréhensifs face à une mesure "dure" mais "inévitable".
Signe de l'effondrement économique du pays, le billet de 100 bolivars permet à peine de s'acheter un bonbon. Il en faut 500 pour avoir un hamburger. A partir de jeudi, les nouvelles coupures iront jusqu'à 20.000 bolivars, pour suivre le rythme effréné de l'inflation.
Les Vénézuéliens ont jusque-là pour déposer ou échanger à la banque leurs billets bientôt caducs, certains tentant avec difficultés de les dépenser chez des commerçants souvent réticents. Puis, il leur restera dix jours pour le faire auprès de la Banque centrale.
Portant sous le bras un sac plastique rempli de billets, Angel Retali, retraité de 71 ans, attend son tour patiemment dans une file de plus de soixante personnes, tout en confessant qu'il ne comprend rien à la mesure. Il raconte que, pendant des mois, les retraités recevaient leur modeste pension de 27.091 bolivars (41 dollars) en billets de 5, 10, 20 ou 50.
Las de ressembler à des "narcotrafiquants" avec une telle quantité de petites coupures, ils avaient obtenu que le gouvernement les paie avec des billets de 100... dont ils doivent désormais se débarrasser.
"C'est angoissant, non seulement parce qu'on a peur de perdre son argent, mais aussi de transporter une telle somme dans un sac, tout le monde sait ce que c'est et il n'y a aucune surveillance" des files d'attente, dit-il.
Le gouvernement a toutefois déployé 58.000 militaires pour assurer la sécurité des agences bancaires, tout en ordonnant la fermeture pour 72 heures de la frontière avec la Colombie, pour contrer les "mafias" cherchant, selon lui, à introduire de grandes quantités de billets de 100 bolivars.