Omeyyades, Idrissides, almohades… Pour bon nombre de Marocains, les dynasties marocaines se limitent à celles que l’on a découvert sur les bancs de l’école. Pourtant, il en est une, la première d’ailleurs, qui reste méconnue, celle des Berghwata.
De leur histoire, les manuels scolaires ne disent rien… malgré quatre siècles de règne, de 742 à 1148, de Salé à Safi. Sur leurs origines, le mystère demeure entier et les suppositions vont bon train. Certains historiens pensent qu’ils descendent de la dynastie berbère des Bacchus quand d’autres supputent qu’ils doivent leur nom à leur chef, Béni Tarif. Celui-ci mena une guerre sans merci contre les conquérants musulmans et a reçu en récompense des terres près de Rio De Barbat en Andalousie, un nom espagnol dont découlerait celui des «Berghwata».
Considéré comme le fondateur de cette tribu dès 740, c’est toutefois son fils, Salih Ibn Tarif, qui en est le père spirituel. La religion adoptée par les Berghwata est très certainement la cause de la disparition de cette dynastie de l’Histoire du Maroc. En effet, ceux-ci ont tourné le dos à l’islam pour créer leur propre religion, communément appelée de nos jours «la doctrine de Saleh». Gardée secrète dans un premier temps, cette religion transmise de père en fils se calquait en fait sur l’islam, à quelques exemples près. Elle a été révélée au monde par Younès, le troisième prince de la lignée des Béni Tarif, en 816. Celui-ci s’imposa comme prophète auprès de son peuple, prétendant que son grand-père fut le premier des prophètes de leur lignée en trouvant la preuve dans le Coran même, et dans un verset en particulier: «Les vertueux (Salih) d'entre les croyants, et les Anges sont par surcroît [son] soutien» (Attahrim, 4).
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Le «Salih Al mouminine» a remplacé «Amir Al Mouminine» (le Commandeur des croyants). Younès va encore plus loin en s’appuyant sur un autre verset du coran pour justifier cette nouvelle religion: «Et Nous n'avons envoyé de Messager que dans la langue de son peuple» (Ibrahim, 4). Autrement dit, le prophète Mohammed étant arabe et parlant arabe, il ne peut transmettre de religion au peuple amazigh. Tâche qui serait ainsi revenue à Salih.
Le coran des Berghwata comportait d’après les historiens quatre vingt sourates. Pour chacune, un titre évoquant soit les prophètes Adam, Job ou Jonas, des récits tels que celui de Pharaon ou encore des animaux, le coq représentant un symbole fort.
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Autres similitudes, le ramadan. Si les Berghwatas le pratiquent, c’est toutefois à la différence près que le jeûne est observé pendant le mois de Rajab. S’agissant de la prière quotidienne, elle s’effectue dix fois par jour et non pas cinq, se fait sans génuflexions et se pratique en groupe le jeudi et non le vendredi.
Des rituels somme toutes semblables mais ponctués de petites différences qui tendaient à exprimer la volonté indépendantiste des Berghwatas face aux arabes venus d’Orient. Cette religion, claquée sur l’islam, était par ailleurs empreinte de croyances païennes et de pratiques de sorcellerie provenant de rituels tant berbères que juifs.
Très bons commerçants, fins stratèges, les Berghwatas contrôlaient des accès stratégiques à la mer. Une position forte qui leur a valu de nombreuses inimitiés, notamment avec les califes Omeyyades sunnites, les fatimides chiites, et enfin les almohades qui eurent raison de leur règne en 1148, après des vagues d’attaques successives qui affaiblirent considérablement les Berghwatas.