Le 7 octobre dernier, Mediapart et L’Humanité ont publié une nouvelle «enquête» consacrée à l’affaire Omar Radi, sous ce titre «Au Maroc, l’affaire Omar Radi connaît un nouveau rebondissement judiciaire».
Le rebondissement dont il est question, ici, est relatif à l’enquête judiciaire dont fait l’objet le journaliste Imad Stitou, collègue de Omar Radi, pour «participation à l’attentat à la pudeur d’une femme avec violence» et «participation au viol» à l’encontre de Hafsa Boutahar. Une nouvelle procédure d'instruction a en effet été ouverte à la demande du procureur général du Roi près la cour d’appel de Casablanca.
A la suite de ce nouvel article à charge contre le Maroc, Mediapart a republié la première enquête dédiée à l’affaire et publiée le 21 septembre, à la veille de l’audition par un juge d’instruction de Omar Radi pour viol. A la relecture de celui-ci, mis à jour également sur le site de L’Humanité, Le360 a pu constater que quelques subtiles modifications y ont été apportées, sans pour autant que celles-ci soient signalées ou fassent l’objet d’un Erratum. Pourtant, ces changements insérés dans le texte ne sont pas des moindres.
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Deux changements en catimini mais pourtant lourds de sensSi la première version de l’article mentionne que «Omar Radi a été incarcéré le 29 juillet à la prison d’Oukacha, à Casablanca, quatre jours après le dépôt de la plainte de la jeune femme», la seconde version de ce même article, republiée le 7 octobre, mentionne cette fois-ci une période de six jours. Deux jours de plus ou de moins, quelle importance après tout? Ce changement n’est toutefois pas anodin dans une enquête où les journalistes se sont montrées très pointilleuses sur les dates et les heures citées afin d’apporter une touche de véracité à leur récit, asseoir les présumés faits selon une certaine chronologie, et, surtout, jeter le doute sur les témoignages de la plaignante.
Une autre modification, autrement plus grave, a été introduite dans l’article-fleuve du 21 septembre. En effet, la première version de «l’enquête» comportait une erreur de taille, épinglée par Le360 dans un précédent article, preuves à l’appui. Les journalistes de Mediapart et de L’Humanité n’avaient pas hésité à détourner des propos tenus par les deux parties en citant les messages échangés entre Omar Radi et Hafsa Boutahar mais… en inversant les rôles, et en prêtant à Hafsa Boutahar les propos de Omar Radi.
Dans la première version de l’enquête, les journalistes écrivent: «elle échange des messages avec Omar Radi, auquel elle reproche de ne pas l’avoir «réveillée» la veille. «Je n’ai pas eu le cœur à te réveiller alors que tu étais dans un sommeil profond», lui répond-il. Avant de lui demander: «je viens ou tu viens?». «Viens quand j’aurai fini», écrit-elle. C’est là que les versions divergent».
Puis dans la nouvelle version du 7 octobre, les deux journalistes rectifient le tir comme suit: «elle échange des messages avec Omar Radi. Il lui reproche de ne pas l’avoir «réveillé» la veille. Elle répond: «je n’ai pas eu le cœur à te réveiller alors que tu étais dans un sommeil profond». Omar Radi lui demande: «je viens ou tu viens?». «Viens quand j’aurai fini», écrit-elle. C’est là que les versions divergent».
Si Le360 dénonçait dans un premier temps un faux pas impardonnable, qui jetait le discrédit sur l’ensemble de cette prétendue enquête et montrait le parti pris de ses auteurs et les déformations dans l’exploitation des faits auxquelles elles se sont livrées, la donne a maintenant changé, tout en accablant davantage les deux journalistes auteures de cette enquête conjointement menée, et supposées, de par la déontologie de leur métier, être impartiales dans le récit des faits.
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Au diable la déontologie!Car avec ces modifications intégrées en catimini dans le texte sans même faire l’objet d’un Erratum, les deux médias qui se sont rendus coupables de diffamation à l’encontre de Hafsa Boutahar, en détournant ses propos, contournent désormais toutes les règles de la déontologie, montrent clairement qu’ils abordent ce sujet selon un point de vue préétabli: celui de discréditer la plaignante et de se livrer à un pilonnage en règle des institutions marocaines.
En effet, l’obligation de rectification est une recommandation adoptée le 21 juin 2017 par le Conseil de déontologie journalistique. «Le Code de déontologie journalistique prévoit, en son article 6, que «les rédactions rectifient explicitement et rapidement les faits erronés qu’elles ont diffusés».
Qu’entend-on par «rectification explicite»? «Claire et visible, [la rectification explicite] comporte la reconnaissance et l’identification de l’erreur commise et la correction de celle-ci, et ce y compris dans la titraille. Pour la bonne compréhension du public, il est important d’expliciter les erreurs commises. Cela permet aux personnes ayant déjà pris connaissance du fait erroné de s’en apercevoir et de saisir la teneur réelle des faits», précise-t-on.
Attention par ailleurs à ne pas confondre rectification d’un fait erroné et mise à jour!
Le Code de la déontologie journalistique précise ainsi qu’en pratique, la confusion entre la rectification d’un fait erroné et la mise à jour de l’information est courante. «Pourtant, il s’agit bien de deux situations distinctes. Alors que la mise à jour se produit lorsque de nouveaux éléments viennent enrichir, compléter ou actualiser l’information, la rectification vaut quand la présentation des faits initialement disponibles est erronée. Contrairement à la rectification, la mise à jour ne remet pas en cause la véracité de l’information précédemment diffusée, même si elle peut venir la corriger. Il n’est jamais question de mise à jour de l’information dans la rectification de faits erronés. Pour éviter la confusion dans l’esprit du public, les journalistes veillent à utiliser la terminologie adéquate et à mettre en œuvre les pratiques adaptées à la situation visée».
Comment qualifier dès lors les modifications, introduites dans «l’enquête», et passées sous silence par les journalistes et leurs médias, réputés par leur propension à vouer aux gémonies tout écart déontologique?
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La balle dans le camp de la justice françaiseA nouveau contactée par Rachida El Azzouzi et Rosa Moussaoui, les deux journalistes qui avaient signé la première enquête, Hafsa Boutahar n’a pas souhaité répondre à leurs questions. «Pourquoi le ferais-je? Ces médias m’ont traînée dans la boue, ont sali mon image et tenté de nuire à ma réputation», explique-t-elle, contactée par Le360.
Entre la jeune femme et les deux médias français, la tension est palpable. A la suite de la précédente enquête, Hafsa Boutahar avait en effet publié sur Twitter leurs échanges écrits via messagerie, diffusant la liste des questions envoyées par les deux journalistes qui prétendaient alors vouloir faire entendre la voix des femmes victimes de violence.
Prenant cette fois-ci les devants, les deux journalistes ont publié en fin d’article les nouvelles questions envoyées à l’intéressée. Au moins, Rachida El Azzouzi et Rosa Moussaoui semblent avoir retenu la leçon et ne mentent plus sur l’optique qu’elles veulent donner à leur article.
Mais pour Hafsa Boutahar, cette reconnaissance quasi-cryptée d’une erreur ne suffit pas. La plaignante confie ainsi, toujours contactée par Le360, envisager poursuivre en justice ces deux médias. Car pour rappel, en France, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse précise que «toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés».
Et si la justice française tranchait en faveur de Hafsa Boutahar dans un éventuel procès contre Mediapart et L’Humanité, les signataires de «l’enquête» remettraient-elles en question l’indépendance de l’appareil judiciaire de leur pays? L’accuseraient-elles de vouloir museler de «vrais» journalistes? De museler la presse «indépendante» pour accomplir de sombres desseins? Les réponses à ces questions sont déjà toutes trouvées.