Calfeutrés dans leur caserne qui leur sert de rédaction, les journalistes de la revue El-Djeich, porte-voix de l’armée algérienne, semblent vivre dans une autre Algérie. Ils sont les seuls à croire à cette hérésie présidentielle consistant à travestir une date symbolisant le ras-le-bol des Algériens vis-à-vis de cet Etat militaire en une date de «fraternité» et de «cohésion» entre le peuple et le régime.
Alors qu’aux quatre coins du pays, le peuple s’apprête à battre le pavé pour célébrer le 2ème anniversaire du Hirak, le 22 février prochain, l’armée a trouvé la parade en rappelant, dans le numéro de février de la revue El-Djeich, que le président de la République a décrété cette date comme «Journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie». Un concept pour le moins farfelu, qui ne trompe personne si ce n’est ces plumitifs galonnés, qui y voient un moyen de «barrer la route devant les opportunistes, les arrivistes et les marchands de sang et de la sueur du peuple algérien, qui a adhéré par conviction et conscience au processus d’édification de la nouvelle Algérie».
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L’auteur de ce fameux «Commentaire» dans les colonnes d’El-Djeich se trouve manifestement dans le déni et la fuite en avant la plus totale. Il prétend que «les Algériens ont choisi en toute transparence et démocratie leur président» et que le boycott du peuple n’a pas eu lieu. A croire que la hiérarchie militaire dispose d’autres chiffres que les taux participations humiliants pour le président Tebboune, tant pour son élection présidentielle (officiellement, 40% en décembre 2019) que durant la session de rattrapage qu’a été le référendum constitutionnel (officiellement, 23% en novembre 2020). La réalité du taux de participation, aussi bien lors de l’élection que du référendum, est en fait bien en deçà des chiffres officiels.
Le peuple ne s’y est d'ailleurs pas trompé. Il a accueilli le nouveau président algérien par un slogan taillé sur mesure: «Tebboune Lemzawer jabouh L3askar», soit «Tebboune le factice a été imposé par les militaires».
Quand El-Djeich évoque d’ailleurs le président, la revue ne retient que ses quelques apparitions sur les chaînes de télévision algériennes, omettant de préciser que sur les cent derniers jours, Abdelmadjid Tebboune n’en a passé que 11 en Algérie (du 29 décembre 2020 au 9 janvier 2021). Il faut d'ailleurs rappeler que le président Tebboune a été évacué une première fois en Allemagne le 28 octobre 2020, qu'il est rentré en Algérie le 29 décembre, avant de s’envoler une fois encore en Allemagne le 10 janvier 2021. A la date d’aujourd’hui, Abdelmadjid Tebboune n’est toujours pas rentré chez lui.
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Sur toutes les thématiques abordées par cet article, l’intox et la mauvaise foi sont à un niveau qui dépasse l’entendement. La campagne de vaccination, à titre d’exemple, est présentée comme un succès, alors qu’elle se résume en réalité à quelques photos purement symboliques, uniquement destinées à laisser croire que l’Algérie l’a effectivement démarrée.
Ces manœuvres de désinformation ne trompent plus les Algériens. Oppressés par ce régime militaire et par une faillite de gouvernance qui a conduit à l’effondrement socio-économique du pays, le peuple algérien multiplie, ces derniers jours les manifestations et les signes de désobéissance civile, pour ne citer que l’invasion du siège social de la Sonatrach, une vache à lait publique qui incarne la corruption qui gangrène les institutions de l'Algérie. Et ces manifestations qui commencent à prendre de l’ampleur ne sont qu’un tour de chauffe.
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La commémoration du deuxième anniversaire du Hirak risque d’être houleuse pour le régime vert-kaki. L’armée se rappelle bien que ce mouvement contestataire a fini par éjecter un président malade qui s’accrochait au pouvoir. Elle sait très bien que la grogne populaire ne se contentera pas cette fois-ci d’évacuer cet autre président malade qui démontre jour après jour son incapacité à gouverner… Le Hirak a pointé du doigt le mal qui ronge l’Algérie: l’armée qui ne veut pas céder le pouvoir aux civils. Or, la principale revendication du Hirak, c’est un Etat civil.
Le tour de passe-passe de l’armée algérienne, invoquant la trouvaille qui fait rire d’un président absent qui veut transformer le 22 février en «Journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie», donne la mesure d’un commandement désarçonné et dépassé par les événements. La scandale du jeune Walid Nekkiche, un manifestant du Hirak torturé et agressé sexuellement dans une caserne militaire (Antar), ne plaide pas du tout, d'ailleurs, en faveur d'une «cohésion entre le peuple et son armée». Le divorce est définitivement consommé entre les tortionnaires de l’armée et le peuple algérien.