Ecrit par Driss Ajbali, sociologue spécialiste de l’immigration et désormais médiateur de l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP), l'ouvrage connaît un certain retentissement dans le microcosme de la presse marocaine. Et pour cause, en plus d'une introduction d’une trentaine de pages qui retrace les grandes étapes de la naissance du journalisme au Maroc, son évolution à travers le temps et l’histoire politique du pays, l’auteur s’y attèle à l’écriture de 230 portraits de figures de la presse, brossés sous forme d’hommage pour certains et de critiques pour d’autres. Ses biographies portent la marque d’un auteur qui a pris le risque de s’exposer, en décochant des fois des vérités (les siennes), qui ne contribueront certes pas à augmenter le rang de ses amis.
Or, si les uns se félicitent de faire partie de ceux dont l’auteur dresse un portrait élogieux, d’autres, absents, expriment leur mécontentement et leur incompréhension, quand certains s’offusquent d’y être critiqués. Contacté par Le360, Driss Ajbali se dit bien décidé à parler à cœur ouvert de cet ouvrage qui a nécessité cinq mois de travail «acharné», dit-il, en période de pandémie et de confinement, afin d’en expliquer les motivations et la genèse.
Genèse et méthodologieEn tant que médiateur de la MAP, «une responsabilité qui est une première en Afrique et dans le monde arabe», entame-t-il, «j’ai suggéré de créer une interactivité avec les usagers de la MAP avec la création d’un portail électronique dédié, qui permettrait également de rendre hommage à de grandes figures du journalisme marocain. Cette idée est devenue un livre et le site, qui est désormais finalisé, attendait la sortie du livre pour être mis en ligne».
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Voilà pour la genèse du livre. Vient ensuite l’épineuse question de la sélection des profils des journalistes mis en avant dans cette publication. Ce sont 230 journalistes qui sont portraiturés, au total. «Je ne connais pas la plupart de ces personnes. J'en connais personnellement tout au plus une dizaine», précise Ajbali. Ainsi, «le corpus a commencé à s’enrichir grâce aux apports des uns et des autres», entendez par là des journalistes consultés sur la question, et plus précisément, explique l’auteur, à titre d’exemple, des journalistes de L’Opinion ou d’Al Alam, mais aussi des gens de la fédération nationale du journalisme.
Avis aux mécontentsSi Driss Ajbali se réjouit que «la plupart [des personnes figurant dans le livre, Ndlr] soient contentes et l’expriment sur Facebook», il conçoit toutefois que «certains ne le soient pas».
C'est la raison pour laquelle, dit-il, «nous avons pensé qu’il faudrait une 2ème édition, un peu corrigée, car il y a quelques coquilles dans la première version, et complétée». Car de l’avis de l’auteur, «il y a des gens qui sont des grandes figures de la presse marocaine que j’ai omis de mentionner dans ce livre». Et de prendre pour exemple Sayda Layla ou encore Mohamed Chakroun, dont «les portraits frisent la légende», explique Ajbali, qui dit vouloir «se rattraper» avec cette seconde édition augmentée de son livre.
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A ses détracteurs qui l’accusent d’avoir fait preuve de copinage dans le choix des personnes mises en avant, Ajbali répond sans détour: «je ne connais ni copain ni coquin dans cette affaire, et c’est d’ailleurs ce qui m’a permis de garder la distance nécessaire». Et de poursuivre pour expliquer encore un peu plus sa démarche: «j’ai suggéré, et ça a été accepté, que l’on n’enfile pas les CV pour faire de ce livre un catalogue de journalistes, mais que l’on opte pour des portraits brossés comme des aquarelles… Et la plupart des gens vivent la musicalité de leur portrait avec plaisir».
De la nécessité de l’ouverture d’un débat sur la presseDriss Ajbali qui considère que «le journaliste marocain parle de tout mais [que] personne ne parle de lui», et qui conçoit ainsi que le journalisme «est un métier d’ego», où «le narcissisme peut être exacerbé», tient toutefois à rappeler qu’au-delà des 230 portraits de professionnels du métier, «il y a aussi une introduction de 30 pages: ‘Du Berrah à Youtube’», qui, explique-t-il, lui «a permis de découvrir une coupe géologique de l’histoire du journalisme». «C’est à ce sujet qu’il y a lieu d’ouvrir un débat», recadre-t-il.
Driss Ajbali, qui, tout en rappelant ses qualifications sur la question de l’immigration, souligne qu’il n’a «jamais prétendu être un journaliste, tout au plus un chroniqueur, avec toujours une passion pour la question médiatique en France et au Maroc», dit avoir ressenti «le sentiment d’avoir posé le doigt, à travers ces portraits-hommages, sur un secteur délabré», fragilisé par la crise et les réseaux sociaux. Le peu de représentation des journalistes de la presse électronique est d’ailleurs un choix, explique Ajbali, car «avec plus de 400 sites, ça mérite un livre à part».
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Se disant au début de cette aventure, «inquiet de la manière dont serait perçu ce livre» à sa sortie, Ajbali estime que la presse est «un métier qui a besoin véritablement de reconnaissance parce qu’il se considère comme un quatrième pouvoir, mais n’en a que le nom d’une certaine manière». Et de saisir l’occasion de cette publication pour appeler à un «débat sur la presse et la place qu’elle occupe».
Avec ses Figures de la presse marocaine, Driss Ajbali n’a pas seulement eu le mérite de constituer une première galerie des noms de la presse dans notre pays, mais il l’a fait d’une façon originale, aux antipodes d’un traitement convenu. Ce travail, qui constitue une première au Maroc, a été réalisé aussi grâce à la MAP qui, sous la férule de Khalil Hachimi Idrissi, a initié une stratégie éditoriale qui a enrichi la bibliothèque marocaine par de nombreuses publications.
Figures de la presse marocaine (493 pages), publié aux éditions de la MAP, en 2021. Prix: 150 dirhams.