Dans l’imaginaire collectif, Tanger se drape dans le souvenir d’une ville mystérieuse, carrefour de communautés étrangères, tantôt ville d’espions, tantôt paradis d’artistes de tous bords venus y chercher l’inspiration. Mais depuis 1956, l’abolition du statut international de la ville et son rattachement au Maroc, Tanger s’inscrit dans la dynamique du changement. C’est à cet essor que s’intéresse le magazine The Times, se penchant sur le présent et l’avenir de la ville à la lumière de son passé.
Dans un article publié le 23 septembre, The Times part à la découverte de cette ville bien connue des communautés britannique et américaine pour avoir accueilli en son sein de nombreuses personnalités du monde des arts et de la culture, à l’instar de Paul Bowles, William Burrough ou encore Patrick Thursfield, auteur d’une traduction primée de l’épique trilogie transylvanienne du compte Miklos Banffy.
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Que reste-il de cette ville de Tanger chérie par les Anglais, où depuis sa maison qui surplombait le détroit de Gibraltar, Patrick Thursfield assistait aux derniers jours de cette communauté britannique tangéroise, qui accueillait ses invités en caftan en leur servant des gin-tonics? s’interroge The Times.
Du boom des créatifs au boom économique
Si Tanger attire toujours autant de créatifs, à l’instar de personnalités telles que Jasper Conran, qui a acheté la Villa Mabrouka d’Yves Saint Laurent pour la transformer en hôtel de douze chambres, le média britannique tempère toutefois l’impact de ce boom des créatifs sur les raisons du succès de la ville. Dans les colonnes du magazine, un ancien expatrié de la ville du détroit, qualifie d’ailleurs d’«ennuyeux», ce «battage» autour de cette «petite bulle d’architectes d’intérieur étrangers» car explique-t-il, «il occulte le succès de la vraie ville, la ville marocaine, qui compte trois millions d’habitants».
En effet, analyse The Times, «depuis une dizaine d’années, elle connaît un boom économique qui s’accélère à l’approche de 2030, date à laquelle la ville sera l’une de celles qui accueilleront les matchs de la Coupe du monde de football».
Le roi Mohammed VI, à l’origine du renouveau de Tanger
Cette transformation de Tanger qui a abouti au renouveau de la ville, The Times en situe l’origine à l’avènement du roi Mohammed VI en 1999 et énumère les nombreux chantiers qui ont métamorphosé la ville depuis l’accession du trône du souverain. «Depuis 2003, on estime que 10 milliards de dollars ont été injectés dans la région, ce qui a permis d’agrandir le Port Tanger Med pour en faire le plus grand de la Méditerranée», détaille ainsi l’article avant de citer l’année 2018, qui a vu le lancement d’une «ligne ferroviaire à grande vitesse (qui) relie la ville à la capitale Rabat et à Casablanca, le centre industriel du pays». Sans compter que, «Tanger abrite une industrie textile florissante, une usine Renault neutre en carbone, la plus grande d’Afrique, et des géants des énergies renouvelables qui ont établi des parcs éoliens à proximité», poursuit la publication britannique.
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Et la métamorphose de la ville ne s’arrête pas là, car aujourd’hui encore, son développement se poursuit à grands pas, visible notamment par ces «grues (qui) se dressent au-dessus du stade de football de la ville, afin de l’agrandir en vue de 2030 et de la Coupe d’Afrique de l’année prochaine, que le Maroc accueillera».
A cela s’ajoutent les nombreuses et récentes rénovations de la médina et de la kasbah de Tanger, dans le centre historique, lesquelles «se sont avérées populaires auprès des touristes marocains de la classe moyenne, nouvellement prospères, qui affluent ici pendant l’été pour échapper à la chaleur du sud», poursuit The Times.
La renaissance culturelle de Tanger
Ce boom économique s’accompagne d’un renouveau artistique, nourri par le talent d’une communauté locale. Ainsi, Tanger connaît sa propre «renaissance culturelle et s’accroche à son esprit durable et particulier», explique Kenza Bennani, fondatrice de la marque de mode New Tangier, qui considère que «la ville n’est pas dominée par une élite, mais elle est beaucoup plus libre sur le plan artistique».
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Parmi les acteurs de cette effervescence culturelle marocaine, énumère The Times, le projet «Motherhood» d’Yto Barrada, qui a pour vocation de faire revivre l’artisanat traditionnel, ou encore «Think Tanger and Kiosk», une organisation à but non lucratif, fondée par Hicham Bouzid, et dotée d’une librairie, qui a pour mission «d’aider les jeunes Marocains qui s’éloignent de plus en plus du centre-ville en raison de la hausse des prix de l’immobilier, des bas salaires et du chômage», explique-t-on.
Un boom économique et un renouveau culturel qui ne sauraient toutefois départir Tanger de son aura de jadis. Il suffit d’un déjeuner dans le centre-ville, conclut l’auteur de l’article, dans «un enchevêtrement de restaurants et de bars clandestins qui conservent une partie du charme louche de la ville et où l’on parle autant l’espagnol et le français que l’arabe de la darija marocaine», pour s’en rendre compte et toucher du doigt la douceur d’un ancien mode de vie.
«La ville s’accélère aujourd’hui et nous sommes en train de perdre cela. Mais il reste une douceur de vivre, un attachement à l’esthétique, à ce qui est beau dans la vie. C’est cela Tanger», résume Salim Akalay, organisateur d’événements artistiques et musicaux. Peut-être «une ville que Thursfield reconnaîtrait encore», conclut The Times.