En Algérie comme au Maroc, le mois de ramadan est l’occasion pour les téléspectateurs de renouer avec les séries télévisées au moment du ftour. Et cette année, une production en particulier a remporté tous les suffrages en Algérie: la troisième saison de Achour El Acher. Un succès dû notamment, à en croire la presse algérienne et les réseaux sociaux, à la brillante prestation de Nadia Kounda, une actrice marocaine qui a su conquérir, en un temps record, le cœur des Algériens.
Avant même la diffusion de la troisième saison de Achour El Acher, la présence de Nadia Kounda sur l’affiche promotionnelle de la série a fait débat. Au cœur de la controverse, la nationalité marocaine de la jeune femme, dans un pays où le régime promeut la haine de tout ce qui est lié au Maroc.
Au fur et à mesure de la montée en puissance de l’actrice marocaine, la série est devenue l’objet de toutes les obsessions et a cristallisé une haine maladive d’un régime, indigne du peuple algérien. Voici les trois actes qui ont révélé, au grand jour, la névrose du régime algérien à l’endroit de tout ce qui provient du Maroc.
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Acte 1 - La femme par laquelle le scandale arrive
Tout commence le 12 avril 2021, lorsque le journaliste Mohamed Allal, à qui l’on doit la demande hilarante adressée à la France de restituer la tour Eiffel à l’Algérie, déclare sur sa page Facebook que la culture et la politique sont indissociables et que de fait, la participation d’une actrice marocaine à une série télévisée est un évènement historique pour l’Algérie.
"Nadia Kounda est la première actrice marocaine qui participe à un feuilleton algérien dans un climat politique tendu", affirme-t-il. Des propos qui ont enflammé la toile et qui ont fait également réagir le milieu artistique du Royaume. Le réalisateur marocain Abdelillah Eljaouhary s’est ainsi insurgé contre de tels propos, rétorquant que "l’art est une sorte de victoire contre la politique", et invitant le journaliste algérien à ne pas tout mélanger.
Mais Mohamed Allal n’a pas pour autant démordu de sa position. Invité sur le plateau de Lina Télévision pour s’expliquer, le journaliste a affirmé aimer le jeu d’actrice de Nadia Kounda, mais que la culture, en général, et le cinéma, en particulier, sont une arme de propagande pour le pouvoir. Et de lancer de façon péremptoire: le Maroc a pour habitude "d’utiliser l’art marocain pour porter atteinte à l’Algérie".
Des propos qui ont suscité un tollé sur les réseaux sociaux car pour le grand public algérien, la nationalité de Nadia Kounda ne change rien à son talent. "Et alors, depuis quand la nationalité compte au cinéma?", demande un internaute. "Faut-il que tous les acteurs de films algériens soient Algériens?", questionne un autre. "Si elle avait été tunisienne, vous n’auriez rien trouvé à dire", souligne l’un tandis qu’une autre remarque que "l’année dernière, des acteurs tunisiens figuraient dans la saison 2 et ça n’a fait aucune polémique".
Acte 2 - Censure et suspensionOutre la nationalité problématique de Nadia Kounda, la série burlesque Achour El Acher a continué de faire couler de l’encre tout au long du ramadan et à alimenter d’autres polémiques. Après avoir subi plusieurs censures de l’ENTV (le pôle public), décriées par la toile et les acteurs de la série, Achour El Acher a ensuite été suspendue par la chaîne juste avant la diffusion du très attendu 20e épisode.
Face au tollé provoqué en Algérie par cette suspension incompréhensible au vu des scores réalisés par la série, l’ENTV a alors expliqué que cette suspension temporaire intervenait au lendemain de la mort de Blaha Benziane, l’un des acteurs principaux de la série et véritable star en Algérie, et qu’il fallait donc y voir un genre de deuil. Excuse à laquelle le public algérien n’a pas cru du tout. "Le meilleur hommage qui puisse être rendu à la mémoire de ce grand acteur serait de continuer à diffuser la série dans laquelle il jouait", écrit ainsi un internaute algérien. Une position largement partagée par le grand public qui ne comprend pas cette éviction du paysage audiovisuel de sa série préférée. De quoi continuer à faire grossir la polémique autour d’une série qui dérange… jusqu’aux plus hautes instances du pouvoir.
Et pour cause, le rôle de l’actrice marocaine n’est pas anodin et le scénario de la série s’aventure dans la parodie de la réalité sociale et politique en Algérie. En témoigne le pitch élogieux que consacre le journal algérien Al Watan à Achour el Acher et l’hommage rendu à sa comédienne: "Manena, cette Indo-Algérienne, une domestique, une servante, dans la cour de Achour El Acher –fraîchement divorcé de Razan, la reine–, deviendra souveraine. Et ce, après que l’esseulé Achour El Acher (Hakim Zelloum) ait 'flashé' sur son charme discret et sa beauté bollywoodienne. Achour El Acher, bien qu’empêtré dans des problèmes relatifs à l’économie, la justice sociale et la démocratie bafouée par son régime bananier, a eu le temps de tomber amoureux de Manena. Comment? Manena est plutôt douce, fluette et gracieuse. Et il lui a fait la cour… royale. Achour El Acher follement éperdu quittera le royaume pour aller reconquérir le cœur et chercher Manena sur la route des Indes".
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Les autorités algériennes ont-elles été piquées au vif par ce scénario où le dirigeant du pays succombe au charme d’une Marocaine? En tout cas, au fil des épisodes, la très discrète Manena est montée en puissance au point de soumettre le roi Achour El Acher.
Acte 3 - Les têtes tombent
Le ramadan touchant à sa fin, et la troisième saison de la série à succès aussi, l’heure est visiblement venue de rendre des comptes. Et si le pouvoir algérien avait jusque-là manifesté son ire à l’encontre de la série Achour el Acher par la censure et la suspension, l’affaire a pris des proportions, autrement plus graves.
Dès le 3 mai, branle-bas de combat au sein du pôle étatique ENTV, avec l’annonce par le ministère de la Communication du limogeage du patron de la télévision algérienne, Ahmed Bensabane. Certains ont expliqué cette révocation brutale par l’invitation sur le plateau du secrétaire-général du FLN, Baadji Abou El Fadhel, lui aussi voué, au demeurant, aux gémonies parce que marié à une Marocaine. Mais cette explication ne convainc qu’à moitié, parce que même si la candidature aux législatives, incertaines le 12 juin, du patron du FLN a été refusée, Baadji Abou El Fadhel est toujours à la tête du parti historique de l’Algérie.
Pour nombre d’Algériens, il n’y a aucun doute, le licenciement de Ahmed Bensabane, un an à peine après sa nomination, est en lien avec la série Achour el Acher, passée sous les ciseaux de la censure de trop nombreuses fois pour que cela soit anodin. Lui reproche-t-on d’avoir diffusé une série qui tourne la junte militaire en ridicule sur une chaîne qui est pourtant le porte-voix du pouvoir et une arme de propagande anti-Hirak? C’est fort probable. Lui a-t-on tenu rigueur de la popularité d’une actrice marocaine, qui a conquis les Algériens, à un moment où le régime cherche à diaboliser le Royaume? Cela est quasi-certain.
Quelques jours plus tard, intervient un autre rebondissement de taille, qui implique encore une fois en filigrane la série ramadanesque, et qui se joue dans les coulisses de l’ordonnance ahurissante d’Abdelmadjid Tebboune d’interdire toute coopération économique avec une entreprise "d’origine marocaine", sous peine d’être accusé de trahison. Dans cette ordonnance, aux antipodes de la stature d’un chef d’Etat, le président Tebboune nomme l’opérateur de téléphonie mobile Djezzy, accusé de financer des opérations publicitaires au profit de sociétés étrangères "proches de lobbies étrangers anti-algériens".
Quel est le rapport entre la série Achour el Acher et l’opérateur téléphonique Djeezy? Une agence de communication, Allégorie, qui assure, d’une part, la gestion des opérations publicitaires et de communication externe de Djeezy et qui, d’autre part, a vendu le feuilleton Achour El Acher, dont elle est détentrice exclusive des droits de diffusion, à l’ENTV.
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C’est le journal en ligne Algérie Part qui a révélé le nom de l’agence incriminée par Tebboune. Et de préciser: "Il s’avère que lors du tournage des scènes de la troisième saison de ce feuilleton très populaire en Algérie, la production par le biais d’Allégorie a recouru à certains prestataires marocains pour acquérir des matériaux et des équipements indispensables à certains décor". Encore le Maroc!
Décidément c’est trop pour les yeux et les oreilles de la junte militaire et du Président qu’elle a placé à la tête de l’Algérie. De plus, l'engouement du public algérien pour une série, dédiée à un roi, ne passe pas auprès des chantres d'un pouvoir soi-disant républicain, qui aime vilipender les monarchies.
Algérie Part poursuit: "le recours à ces prestataires marocains a suscité ainsi l’indignation au plus haut sommet du pouvoir algérien qui assimile le Maroc et toutes les entités commerciales ou culturelles qui lui sont liées comme étant des 'ennemis de l’Algérie'".
Une actrice marocaine qui a conquis des centaines de milliers de fans et des équipements importés du Maroc dans la série qui connaît un succès phénoménal sur la télévision algérien… à un moment où le régime veut faire diversion au Hirak en orientant l’attention des Algériens vers un ennemi à l’ouest. Cela contrarie visiblement les plans de la junte militaire qui cherche désespérément à mobiliser un front intérieur autour de "l’ennemi marocain".
Dans d’autres pays, il serait très difficile de croire qu’une série télévisée puisse devenir une affaire d’Etat. En Algérie, un pays qui se rapproche à grands pas de la Corée du Nord, nous avons la preuve, que la névrose "marocaine" rend le pouvoir algérien, au plus grand sommet de l’Etat, aveugle au burlesque et à l’irrationnel.