Comme de nombreux intellectuels algériens, épris du sens de l'équité, de la justice et de démocratie, Boualem Sansal crie son indignation sur la faillite politique de son pays. Une faillite que corroborent des indicateurs économiques qui sont dans le rouge.
Quant au changement, l'écrivain ne se fait pas d'illusions. Dans une interview accordée à l'hebdomadaire français L'Express, à l'occasion de la sortie de son dernier livre "Le train d'Erlingen", l'auteur dit, non sans une pointe d'amertume: "les choses ne doivent pas changer. Le monde arabo-musulman est immobiliste par nature; il s'est construit sur ce que, en Algérie, on appelle les "constantes nationales", c'est-à-dire les valeurs éternelles de la religion, de la tribu, de la oumma, du châab. Le réformisme, le progressisme, le changement organisé, la démocratie, ne sont acceptés qu'à des doses homéopathiques et seulement lorsqu'ils viennent renforcer les constantes nationales. Les pouvoirs ne sont pas produits par le droit et le jeu démocratique ils sont la prérogative naturelle de la caste dominante, légitimée par la religion ou la "légitimité historique".
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Poursuivant sur ce même ton empreint de pessimisme, l'écrivain relève que ses concitoyens ne peuvent réagir à cet état de choses, étant soumis à un choix dichotomique: se révolter ou partir.
Quant à la question cruciale de savoir qui dirige de facto l'Algérie, le président de la République -comme on le sait, est atteint d'un AVC, Boualem Sansal assène : "un raïs entouré de sa smala - sa famille, son clan, sa tribu, ses amis, ses obligés, bref, une camarilla qui a mille tours pendables dans son sac. Le maître passe le plus clair de son temps à tenter de discipliner son petit monde corrompu et insatiable et de donner au peuple l'image d'une famille royale unie et bienveillante".
La mainmise de Saïd Bouteflika
Par ailleurs, le limogeage de cinq généraux, considérés comme étant des hommes forts de l'armée, ne semble guère le surprendre. C'est, à le croire, dans l'ordre des chose. Puisque, argue-t-il, le frère cadet du président Bouteflika, Saïd, a pour but de "confirmer son pouvoir, et de faire en son nom propre, cette fois, les sixième, septième et huitième mandat, car il est évident qu'Abdelaziz Bouteflika a peu de chances d'achever son cinquième mandat".
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Quant à l'Assemblée nationale, constituée des représentants du peuple et étant leur voix, là aussi, l'écrivain ne fait pas dans la dentelle. Pour lui, cette Chambre est une "pépinière d'oligarques, ils y entrent pauvres comme Job et en sortent, riches comme Crésus".
Interrogé sur la croissance du pays, très critiquée par la Banque mondiale, il ne cache pas son inquiétude. Les propos qui suivent résument parfaitement la situation: "Comment ne pas l'être? Le système Bouteflika a tout détruit. Comment reconstruire sur du sable? Les Algériens sauront-ils se reprendre et redonner un cours normal à leur vie? Ceux qui ont fui le pays reviendront-ils aider à son redressement? L'Armée, les services de sécurité et les oligarques rentreront-ils dans le rang, au seul service du pays? Qu'est-ce qui pourrait amener les investisseurs étrangers à s'intéresser à l'Algérie? Beaucoup de questions, aussi angoissantes les unes que les autres. Je suis très inquiet, je ne vois pour le moment aucune force capable d'inverser le cours calamiteux des choses imprimé par Bouteflika and Co".