Algérie: les manifestants ne veulent «plus d'ordures. Ni dans la rue ni au pouvoir»

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"Les rues d'Alger n'ont jamais été aussi propres que depuis le début des manifestations", se félicite Nassim, presque incrédule devant sa boutique, après un nouveau vendredi de défilé contre le président Abdelaziz Bouteflika. Le mérite revient aux nombreux volontaires.

Le 24/03/2019 à 13h46

Chaque vendredi soir, une fois les manifestants dispersés, des sacs poubelles ventrus, soigneusement rassemblés au coin des rues de la capitale, sont les seuls vestiges visibles du passage durant plusieurs heures de cortèges monstres.

Dès les premiers appels à manifester en Algérie, relayés par les réseaux sociaux, au désormais célèbre mot d'ordre "Silmiya" ("pacifique" en arabe) était aussi accolé celui de "Hadaria" ("civilisé", avec la notion de "bien élevé"). Et à travers le pays, les manifestants appelés à se munir de sacs poubelles, se sont portés volontaires pour laisser les villes propres derrière eux.

Message reçu pour de nombreux jeunes descendus dans les rues dès le 22 février - premier vendredi de manifestation - comme Samir, étudiant en biologie de 23 ans: "J'avais pris un sac poubelle à la maison et mon copain avait fait pareil. On a ramassé principalement les bouteilles d'eau et des papiers, au fur et à mesure que l'on marchait".

"Les deux premiers vendredis" de manifestation, "on a nettoyé spontanément, chacun de son côté", se remémore de son côté Hicham, 22 ans. "Les riverains donnaient des balais, des frottoirs et des sacs poubelles", explique le jeune homme, dont la propreté est le métier puisqu'il lave des voitures durant la semaine.

Depuis, plusieurs groupes de volontaires se sont organisés, surtout via les réseaux sociaux, à travers toute l'Algérie: Samir a rejoint les "Brassards verts", Hicham les "Gilets orange".

Ces volontaires apportent également de premiers soins, veillent au bon déroulement du défilé ou orientent les manifestants égarés.

"Pacifique et citoyenne, c'est l'image (de la contestation) que nous voulons transmettre au monde", explique Amine, 23 ans, professionnel de la communication, "gilet orange" sur le dos, mains gantées, en train de remplir un sac poubelle après la dispersion du cortège.

Au Telemly, sur les hauteurs d'Alger, un comité de quartier s'est formé, dont Nabil Mouhoub, 40 ans, est le président: chaque vendredi, c'est lui qui distribue gilets orange - offerts par la mairie qu'il est allé solliciter - et sacs poubelles.

"Chaque vendredi, on remplit plus de 150 grands sacs poubelles de déchets de toutes sortes rien qu'au boulevard Krim Belkacem", l'artère principale du quartier, précise-t-il.

Ce boulevard, sur lequel un cordon de police barre l'accès à un axe menant à la présidence, a été à plusieurs reprises, en marge du cortège pacifique, le théâtre d'affrontements entre policiers et quelques centaines de jeunes voulant en découdre.

Lorsque la police repousse les irréductibles à coups de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, suivent, quelques mètres derrière, une armée de gilets orange qui retire de la rue pierres, projectiles, tentatives de barricades ou détritus.

Riverains et commerçants fournissent parfois tuyaux d'arrosage et robinets et il faut à peine deux heures au quartier pour retrouver son aspect normal.

Quelques rues plus bas, la manifestation est restée pacifique, mais le cortège dispersé, des volontaires s'activent aussi.

Depuis une heure avec d'autres, Younes, "brassard vert" de 23 ans, a refait le parcours et "ramassé plein de choses: des bouteilles en plastique, des emballages de biscuits, des paquets de cigarettes, plein de mégots, des gobelets... et parfois des objets insolites, comme une poignée de porte".

Après avoir marché pour réclamer le "changement", des garçons et des filles, certains leur drapeau algérien - accessoire obligé du manifestant - encore sur les épaules, viennent d'eux-mêmes prêter main-forte aux volontaires qui passent les rues au peigne fin.

Certains se cotisent pour acheter quelques sacs, d'autres sollicitent, en fin de défilé, l'écot des manifestants, qui donnent volontiers.

Après avoir soigné un jeune manifestant ayant fait une chute, Soumia, secouriste et "gilet orange" de 25 ans, s'empare de son sac poubelle: "on ne veut plus d'ordures. Ni dans la rue ni au pouvoir", résume-t-elle.

Le 24/03/2019 à 13h46