L'Algérie compte neuf hippodromes actifs et peut se targuer d'être, avec l'Afrique du Sud, le seul pays africain où se courent des épreuves de trot attelé.
Les premières courses au Caroubier remontent à 1909, sous la colonisation française, et la même année en décollait le premier vol d'un avion motorisé en Afrique. Longtemps surnommé le "Petit Longchamp", en référence à son homologue parisien, l'hippodrome fut transformé dans les années 1980 en parc de loisirs et n'est redevenu champ de courses que l'année de ses 100 ans.
Autour du paddock et dans les tribunes aux peintures défraîchies, les rangs sont clairsemés... et les parieurs plus très jeunes. Derrière les guichets à l'ancienne, grillagés de fer, les employés du Pari mutuel urbain (PMU) enregistrent les paris au stylo, griffonnant sur de petits carnets. Malgré quelques rénovations, l'hippodrome Abdelmadjid-Aouchiche -son nom officiel- a peu changé depuis l'âge d'or du hippisme algérien.
"Jusque dans les années 1970, les courses hippiques attiraient jockeys et visiteurs internationaux", se souvient avec nostalgie Ali Bouam, employé du PMU, filiale de la Société des courses hippiques et du pari mutuel (SCHPM), un établissement public. L'interdiction en 1977 des paris sur les courses organisées à l'étranger a porté un premier coup dur au secteur, en privant le PMU algérien de la manne des mises sur les courses françaises. Cela a "sonné le glas" du monde du cheval en Algérie, estime Ali Bouam.
Le transfert des courses algéroises à Oran (à 400 km d'Alger), puis à Zemmouri (60 km), durant les 25 ans de fermeture du Caroubier, a aussi découragé de nombreux turfistes algérois, les trois quarts des parieurs du pays. Avant que la montée de l'islamisme, la guerre civile des années 1990 et la poussée du sentiment religieux achèvent de faire des champs de courses des "lieux de péché" peu fréquentables, l'islam prohibant les jeux d'argent.
"Avant, beaucoup de gens jouaient (...) sans problème, personne ne se mêlait des affaires de l'autre, mais maintenant c'est différent", déplore Boualam, autre agent du PMU du Caroubier. En Algérie (42 millions d'habitants), il reste approximativement 10.000 parieurs, dont "les plus jeunes ont 50 ans", estime Karim Cheriet, directeur du PMU-Algérie. Le montant annuel des enjeux atteint environ un milliard de dinars (7,2 millions d'euros) -1.000 fois moins qu'en France-, un chiffre inchangé depuis 20 ans malgré une forte inflation.
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Or si 65% de ces mises reviennent aux parieurs gagnants, les 35% restants financent l'essentiel de la filière hippique en Algérie. Les recettes de la SCHPM, chargée notamment de l'organisation des courses et de l'entretien des hippodromes, couvrent à peine les coûts d'exploitation, empêchant tout investissement, déplore son directeur général, Ahmed Rayane.
Faute de moyens, les dotations des courses n'ont cessé de régresser, au point que les Grands Prix les plus prestigieux ont été supprimés. Pour préserver la survie de la filière, la SCHPM "exonère les propriétaires de chevaux des droits d'engagements pour les courses", grevant encore le budget de la société des courses, explique à l'AFP Ahmed Rayane.
Les propriétaires sont moitié moins nombreux depuis la guerre civile (1992-2002), relève de son côté Aissa Zaïdi, président de leur association. "Les moyens manquent", les courses sont peu nombreuses et mal dotées, regrette-t-il, craignant que disparaisse "ce qui reste" du hippisme algérien.
Le samedi au Caroubier, jour de courses, la tension croissante avant l'ouverture des stalles ou les encouragements et invectives hurlés tout au long des trois minutes de galop débridé cachent mal une ambiance également morose chez les turfistes."En 50 ans, j'ai assisté à la régression des courses hippiques", moins nombreuses, moins spectaculaires, décrit avec nostalgie Mohamed, turfiste depuis ses 17 ans.
Le restaurant renommé du Caroubier, qui attirait au-delà du cercle des parieurs, a fermé ses portes. "Tout est vieux et démodé", regrette Rachid, parieur depuis 30 ans. Aucun écran ne retransmet les courses, dont l'ordre d'arrivée est porté à la craie sur un tableau noir, ou sur une feuille volante qui y est épinglée. Résultat: les jeunes trouvent les courses "ringardes", se désole un turfiste qui a tenté sans succès de transmettre sa passion à son fils.
Pour le directeur du PMU-Algérie, l'urgence est d'attirer de nouveaux joueurs, jeunes, pour augmenter les recettes. Priorités: abolir l'interdiction de miser sur les courses à l'étranger, informatiser les paris et créer une chaîne télévisée dédiée. Si le PMU, qui est "la banque du secteur, se porte bien, on pourra doubler le nombre de courses et augmenter les dotations", imagine déjà Karim Cheriet, misant sur l'effet d'entraînement et une future campagne pour redorer l'image du turf. Mais déjà a surgi un premier obstacle: la "loi sur le commerce électronique, votée en mai, interdit les paris en ligne", souligne-t-il, amer.