Voilà déjà soixante jours que le président Abdelmadjid Tebboune se trouve hors du pays qu'il est pourtant censé diriger. Le 28 octobre 2020, il avait été évacué en urgence, à bord d’un jet ultra-médicalisé, pour être hospitalisé en Allemagne. Infecté par le coronavirus, le président algérien aurait eu des complications qui se sont soldées par un AVC qui a bien failli lui être fatal. Après 46 jours sans aucune nouvelle de leur chef de l’Etat, les Algériens ont finalement pu le revoir brièvement, le 13 décembre dernier.
Faible, très amaigri, Abdelmadjid Tebboune avait posté sur Twitter trois fragments d’un discours totalisant moins de 5 minutes, où il avait fait mine de s’intéresser à ce qu'il se déroulait dans son pays. Il avait d’ailleurs déclaré sur le réseau social que sa guérison, synonyme de son retour en Algérie, devrait prendre «une, deux, tout au plus trois semaines». Sauf que, depuis, il a de nouveau disparu des écrans radars…
En deux mois d’absence, Abdelmadjid Tebboune a raté bien des évènements majeurs dans son pays. On peut citer, à titre d'exemple, l’inauguration de cette Grande mosquée d’Alger (un vrai gouffre financier, de l'ordre de plus 2 milliards de dollars) ou encore «le rendez-vous avec l’histoire» que devait constituer le référendum constitutionnel du 1er novembre dernier, qui a tourné à une vraie humiliation, avec l’enregistrement du taux de participation le plus faible de l’histoire de l’Algérie indépendante. Cette nouvelle Constitution algérienne n’est d’ailleurs toujours pas appliquée, car le président en exercice doit se trouver sur le sol algérien, pour signer cette loi fondamentale.
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L’absence du président algérien, doublé d’un chaos dans l’administration des affaires courantes, met également en péril la santé des citoyens algériens. L’Algérie est aujourd’hui l’un des rares pays au monde à n’avoir pas encore opté pour un vaccin anti-Covid, ni en avoir préparé en amont la logistique, qui nécessite des semaines, pour mener à bien une opération de vaccination massive. C’est à peine si Tebboune s’est réveillé le 20 décembre dernier, en twittant: «j'ai instruit le Premier ministre à l'effet de présider, sans délai, une réunion avec le Comité scientifique de suivi de l'évolution de la pandémie du Coronavirus en vue de choisir le vaccin adéquat anti covid-19 et de lancer la campagne de vaccination dès janvier 2021». Le tout, sans aucune préparation, et sans même pas avoir encore choisi quel laboratoire et quel vaccin... On se demande par quel miracle l’instruction de Tebboune pourra se concrétiser dès le mois de janvier, soit dans quelques jours à peine. Résultat: ce sont les citoyens algériens qui risquent de pâtir de ce défaut de gouvernance endémique, qui joue avec leur santé.
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Pis encore, l’absence de Tebboune pose actuellement un grave problème au pays et risque de mettre définitivement à l’arrêt une administration qui souffre déjà de la vacance du pouvoir. Le président a en effet jusqu'au 31 décembre pour approuver la loi de Finances 2021 du pays. Un projet de budget qui prévoit d’ailleurs une dévaluation durable du Dinar, de manière à doper artificiellement les recettes pétrolières encaissées en dollars, par un simple effet de la conversion en monnaie locale.
Une acrobatie macro-économique qui permet de continuer de payer les trois millions de fonctionnaires algériens, les transferts sociaux et les subventions des prix des produits de grande consommation, avec l’avantage, aussi, de permettre au régime de dépenser sans compter pour son train de vie. A terme, la situation est néanmoins intenable pour le tissu productif algérien, ainsi que pour les ménages, qui commencent déjà à souffrir d’une flambée de l’inflation importée. Le ministre des Finances, Aymen Ben Abderrahmane, a d’ailleurs bien résumé la situation: «on ne peut pas avoir un dinar fort sans une économie forte», a-t-il martelé devant les élus algériens.
Aussi ambivalente soit-elle, cette loi de finances est indispensable au fonctionnement de l’administration algérienne. Sa signature par le chef de l’Etat est évidemment une étape incontournable à son entrée en vigueur, le 1er janvier 2021. Et vu la portée souveraine de ce texte portant budget de l’Etat, le document devrait, lui aussi, être signé sur le sol algérien.
En d’autres termes, Abdelmadjid Tebboune n’a plus que quatre petits jours pour reprendre pleinement ses capacités et rentrer dans son pays pour assumer pleinement ses responsabilités. A moins qu’il ne soit le premier président à instaurer une nouvelle forme de gouvernance en cette ère du coronavirus: une gouvernance par distance, avec des parapheurs présidentiels qui traverseraient les frontières, très anticonstitutionnellement, pour que les documents qui s'y trouvent soient ratifiés.